Le siège d'Aiguillon en 1346
d'après Histoire de la ville d'Aiguillon par L'Abbé R.-L. Allis

A l'époque où se déroulait cet épisode de la Guerre de Cent Ans, les principaux protagonistes étaient :

Côté français :

*Le roi de France, Philippe VI de Valois (roi de 1328 à 1350). Il est le neveu de Philippe IV dit Le Bel,

*Son fils Jean, Duc de Normandie, qui lui succèdera sous le nom de Jean II dit Le Bon (roi de 1350 à 1368),

Côté anglais :

*Le roi d'Angleterre, Edouard III (petit-fils de Philippe IV dit Le bel),

*Son fils, le Prince de Galles dit Le Prince Noir et

*le Comte de Derby.

Philippe VI
Jean, duc de Normandie
Henry de Grosmont, duc de Lancaster, comte de Derby
Le Prince Noir
Edouard III

En Novembre 1345, le Comte de Derby occupa la ville d'Aiguillon qui lui fut livrée sans combattre par les deux coseigneurs de Lunac, Astorg de Lunac et Rainfroid de Montpezat. Pour prix de leur trahison, ils reçurent divers privilèges fiscaux facilitant les échanges commerciaux.
Derby se réjouit de détenir, selon Froissart : " une des plus fortes places de l'Europe en la pointe de deux grosses rivières portans (sic) navires". Les murs des fortifications avaient 1,85 m d'épaisseur et 10 m de hauteur, le tout entouré d'un fossé large de 25 m et profond de 10 m.
Il y entassa aussitôt une grande quantité de vivres et matériels divers. L'espace étant restreint, la garnison ne comprenait que 600 archers, 300 hommes d'armes et 40 chevaliers sous les ordres de Gautier de Mauny et d'Alexandre de Caumont(1). En réconpense, Derby reçut d'Edouard III, 10 000 florins.

Durant l'hiver 1346, le Duc de Normandie rassembla une forte et disparate armée de 6 000 chevaliers, 50 000 piétons et des archers Génois ; parmi les personnages de haut rang figuraient entre autres le jeune comte Gaston de Foix dit Fébus, natif d'Orthez en Béarn et le chevalier Arnaud de la Vie. Cette troupe se dirigea vers l'Aquitaine pour essayer d'en déloger les Anglais. Le 13 mars, il étaient à Cahors et le 27 mars à Aiguillon.

Le camp Français s'établit à l'Ouest de la ville, dans la grande île de la Plaine du Sergent située entre la Garonne et un de ses bras(2) qui longe les hautes murailles, sur une longueur de 3 kilomètres et une largeur de 500 mètres, entre le pont de l'île de Rébéquet au nord et Saint-Côme au sud ; la cavalerie était cantonnée entre le Fromadan et Saint Côme ; des bacs établis à l'embouchure du Fromadan en aval de Saint-Côme assuraient la liaison entre les deux camps. Par incompétence, on laissa aux Anglais les autres îles du confluent où ils abritèrent une flottille de petits bateaux qui leur furent très utiles pour s'opposer aux tentatives des Français d'attaquer les abords de la porte Nord-Ouest [E, sur le plan]. On peut repérer ces divers lieux sur la carte et le plan de la ville dessinés par le colonel Dubugua.
Les cinq canons utilisés pour la première fois en France dans un siège avaient un petit calibre (55 à 70 mm) et les boulets qu'ils lançaient avec de la mauvaise poudre étaient sans effet sur les épaisses fortifications ; leur principal effet était d'effrayer les hommes et les chevaux par le bruit et la fumée qu'ils produisaient ; quant aux échelles elles étaient inutilisables à cause des profonds fossés et des hautes murailles ; la seule solution était d'essayer de pénétrer en forçant une porte.
La porte d'en haut, au Sud [17 sur le plan] défendue par un grand fossé et un pont-levis était inaccessible, celle d'en bas [18 sur le plan], au Nord, également ; le choix se porta sur celle du Nord-Ouest [E, sur le plan]. Pour cela, il fallait franchir le bras de la Garonne et donc construire un pont de bateaux, mais les Anglais détruisirent l'ouvrage à deux reprises avant même qu'il soit terminé, grâce à leur flottille.
Autre désagrément, en Mai, les arbalétriers Génois, mercenaires au service du roi de France Philippe VI, partirent avec leur solde et pillèrent ce qui se trouvait sur leur passage.
Le Duc de Normandie parcourut le pays pour lever des fonds nécessaires à sa nombreuse troupe ; Agen lui fournit de fortes chaînes de fer pour reconstruire le pont.
Le 16 Juin, les assiégés firent une double sortie : une par eau avec leur flottille qui leur permit de capturer deux grosses barques de vivres venues de Toulouse pour ravitailler les Français ; en revanche, ceux qui sortirent par la porte Sud vers le faubourg du Muneau furent vite refoulés et le pont-levis dut être relevé d'urgence pour empècher les Français d'entrer dans la ville, mais beaucoup de combattants français alliés des Anglais ne purent rentrer et furent massacrés ou fait prisonniers pour être échangés contre rançon. Alexandre de Caumont fut pris par Robert d'Augerant, écuyer du Duc de Normandie ; il ne fut libéré que contre une forte rançon payée par Derby. A noter qu'aucun Anglais ne fut tué ou capturé dans ce combat, preuve qu'ils ne s'exposaient pas trop !

Après
ces événements, les Français détruisirent enfin la flottille Anglaise, occupèrent les îles et la route menant à Nicole pour bloquer le ravitaillement des assiégés. Le pont de bateaux fut reconstruit mais toutes les attaques furent repoussées. Les assiégeants, vu leur grand nombre eurent aussi des difficultés à trouver des vivres, allant en chercher jusque dans le Rouergue.
Gautier de Mauny tenta une nouvelle sortie vers l'Est et affronta Charles de Montmorency qui escortait un convoi de vivres depuis le Quercy, dans le but de s'emparer de cette nourriture, au lieu-dit Bataille, près de Sainte-Radegonde, rive gauche du Lot ; Gautier de Mauny, mis à terre et entouré de français fut sauvé de justesse par des renforts envoyés par le comte de Pembroke, lui permettant de regagner la ville. A la suite de ce combat, le duc de Normandie investit totalement la ville.
En Juillet, le Duc de Normandie décida un assaut général au cours duquel ses soldats réussirent à abaisser le pont-levis de la porte Nord-Ouest, mais les Anglais résistèrent bien et les assaillants se retirèrent.
Le lendemain, le Duc fit construire quatre Kas [hautes tours de bois montées sur des nefs permettant d'approcher des fortifications tout en les dominant, les combattants étant abrités] par les charpentiers des environs ; mais les assiégés les détruisirent en les bombardant avec des blocs de pierre et cette nouvelle attaque échoua aussi. L'armée française perdait la confiance en son chef jugé maladroit et obstiné ; quelques années plus tard, après la défaite de Poitiers le 19 septembre 1356, Froissart dira : "Le Roi Jean [Jean II le Bon] était lent à infourmer et dur à oster d'une opinion".
Jean de Normandie ne vit plus qu'une issue à son entreprise, c'est d'affamer les Anglais et leurs alliés Gascons en maintenant le siège, faute d'engins puissants pour détruire les fortifications.
Début Août, en proie à la famine, les assiégés sortirent de nuit par les portes Nord-Est et Sud, se rejoignant au lieu-dit La Conquète (3) et au Camp Saint-Pé (4), puis se dirigeant vers Saint-Côme où ils affrontèrent les Français au lieu-dit Quissarme, puis furent forcés de se retirer ; au cours de ce combat, Philippe de Bourgogne [arrière petit fils de Saint Louis], chuta de cheval en franchissant le Fromadan et mourut quelques jours plus tard. Le 7 août, Arnaud Garcie de Got trouva la mort en combattant au côté des Anglais.
Le 19 août des documents attestent de la présence du Duc de Normandie à Aiguillon où il fut rappelé par son père devant l'imminence d'un débarquement d'Edouard III en Normandie en compagnie de son fils le Prince Noir.
Le 20 Août, les Anglais voyant les Français se préparer à lever le siège en plein jour alors qu'ils auraient dû le faire discrètement et de nuit, sortirent et firent beaucoup de prisonniers dont un chevalier cousin du Duc de Normandie. Ainsi s'achèva ce piètre épisode de cinq mois.

Voici, selon l'Abbé Alis, une partie de l'inventaire des récompenses accordées par le Roi d'Angleterre à ceux qui avaient résisté aux Français pendant le siège :

"Le comte de Derby, voulant dédommager les habitants d'Aiguillon des pertes que le siège leur avait occasionnées, n'eut garde de laisser sans récompense leur dévouement. II unit à la justice d'Aiguillon la juridiction royale du lieu de Nicole, autorisa l'établissement d'une vaste et unique clôture, ainsi que la réunion de toutes les juridictions et seigneuries, déclara que tous les habitants d'Aiguillon et de la bastide et château de Lunac jouiraient des mêmes franchises pour l'achat, la vente et le chargement des vins dans Bordeaux et seraient traités sur le même pied que les habitants du bourg et du château du Fossat ; il les affranchit de l'impôt sur le sel ; enfin il leur fit remise des dettes contractées avec des individus rebelles et ennemis de l'Angleterre, attendu que ces dettes étaient confisquées au profit du roi par le seul fait de la rébellion. Edouard III confirma ces importants privilèges par lettres données à Westminster le 20 août 1348.
A cette même date, ce prince concéda aux dits habitants le droit de prélever, pendant six mois, à partir de la Saint-Michel 1348, un impôt de 12 deniers bordelais sur chaque tonneau de vin transitant dans leur district, soit par terre, soit par eau ; un impôt de 6 deniers par pipe, et, sur les autres marchandises, un droit supérieur à celui des anciennes coutumes et des anciens péages, au prorata du tonneau et de la pipe. Le produit de ces divers impôts devait être spécialement affecté aux réparations de clôture de la ville.
Le même jour, le roi d'Angleterre, considérant les grandes pertes subies par les consuls et les habitants du bourg, château et bastide de Lunac, par suite des fréquentes attaques de l'ennemi, qui, durant le siège, avaient détruit leurs vignes et autres propriétés, ordonna au sénéchal de Gascogne de confirmer tous leurs privilèges et libertés.
Le même jour encore, et pour les mêmes motifs, Edouard III exempta les habitants du bourg du Fossat de tous péages et impositions, en récompense de leurs services et comme indemnité des pertes qu'ils avaient faites. Pareille exemption est en même temps accordée aux habitants d'Aiguillon.
Par lettres du même jour, une foire fut concédée aux consuls et habitants du bourg du Fossat.
C'est encore le 20 août 1348 que ce prince accorda aux habitants d'Aiguillon le privilège de faire charger et conduire à Bordeaux, chaque année après les vendanges, les vins récoltés dans un rayon d'une lieue autour de la ville, absolument comme le faisaient ceux de La Réole ou ceux de Saint-Macaire, à leur choix.
Le comte de Derby et Raoul de Stafford avaient concédé à Gaillard de Galapian, d'Aiguillon, la garde ou direction de la baillie de cette dernière ville, dont le revenu s'élevait à 10 livres sterling par an, en temps de paix. Mais la guerre avait singulièrernent changé l'état des choses : la perception des droits était devenue impossible ; le titulaire de l'office n'avait pu en tirer parti. Sur sa requête, Edouard III, par lettres données à Westminter, le 20 août 1348, prorogea Gaillard Galapian dans la même charge, pour dix ans, à commencer à la Saint-Jean-Baptiste 1348.
Un certain
Gaillard Michol avait fidèlement servi l'Angleterre en diverses occasions et notamment aux sièges de Saint-Macaire et d'Aiguillon : pour le punir d'avoir ainsi embrassé et suivi le parti ennemi, les Français détruisirent ses propriétés, dont il estimait le revenu à 200 florins. Ses terres, ses vignes, tout paraissait ruiné pour vingt ans. Dans cette triste situation, G. Michol supplia le roi d'Angleterre de lui donner sa vie durant, l'office appelé le vigeirage et la criée dans la cité de Bazas, dont le produit n'excédait pas 6 livres sterling par an. Edouard III, par lettres données à Westminster le 26 juillet 1348, chargea le sénéchal de Gascogne de faire une information à ce sujet, et de lui en adresser le résultat.
C'est aussi pour avoir servi constamment avec fidélité au siège d'Aiguillon, que le bâtard Amanieu de Montpezat reçut du monarque anglais les biens des rebelles situés dans la seigneurie de la ville de Sainte-Radegonde, non loin d'Aiguillon : le donataire devait en jouir sa vie durant, si, pendant ce temps, ces biens demeuraient sous la main du roi, et à condition qu'ils n'auraient pas été l'objet d'une donation antérieure.
Les lettres d'Edouard III sont datées de Westminster, le 13 août 1348.
Une rente de 20 livres sterling fut accordée à Guillaume de Montendre, pour avoir servi pendant le siège d'Aiguillon et une autre rente de 30 livres sterling à Bertrand d'Espagne, chevalier, pour le même motif.
Les seigneurs d'Aiguillon ne furent pas oubliés. Avant la construction du pont sur le Lot, Gautier du Fossat, coseigneur du château du Fossat avec Amanieu III du Fossat, jouissait du droit de transporter les passagers d'une rive à l'autre, et il en retirait un revenu de 25 livres bordelaises. Il avait également la justice haute et basse à Coleignes ; mais les agressions incessantes des Français de Port-Sainte-Marie lui en rendaient l'exercice impossible. Pour obtenir satisfaction sur ces deux points, Gautier s'adressa au roi d'Angleterre qui, le 3 septembre 1348, ordonna au sénéchal de Gascogne d'informer à ce sujet et de faire droit.
Les prédécesseurs de Rainfroid de Montpezat et de Guillaume de Lunac dans la co-seigneurie de Lunac à Aiguillon, avaient fait avec le roi d'Angleterre un paréage touchant certains droits de pêche en Garonne, droits à l'exercice desquels les gens du roi ne se faisaient pas faute de mettre obstacle. Pour obtenir un règlement exécutoire, Rainfroid de Montpezat et Guillaume de Lunac s'adressèrent à Edouard III, qui, le 10 septembre 1348, chargea le sénéchal de Guienne et le connétable de Bordeaux d'examiner l'affaire et de rendre justice..."

Il faudra attendre juillet 1370 pour qu'une armée gouvernée par Bertrand Duguesclin, partie de Toulouse, chasse les Anglais d'Aiguillon après seulement quatre jours de siège.


Bertrand Duguesclin

Jusqu'à la fin de la Guerre de Cent Ans, la ville changea plusieurs fois de mains au gré des trahisons des seigneurs locaux.

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(1) Alexandre de Caumont, seigneur de Sainte-Bazeille, après avoir combattu pour Philippe VI de Valois de 1337 à 1340 était passé du côté des Anglais d'Edouard III pour défendre Aiguillon en 1346 où il fut capturé par le connétable de France le 16 juin.
(2) A notre époque, ce bras n'existe plus et l'ancienne île constitue le quartier des Carterées.
(3) Emplacement approximatif actuel du quartier du Jardin Public.
(4) Emplacement approximatif actuel du Super-Marché.