Biographie résumée établie par
Lionel Corcy.
Joseph CUSSON, cultivateur , mécanicien , inventeur, propriétaire.
Il est né le 18 mai 1824 à Aiguillon (Lot-et-Garonne), est décédé
le 3 oct 1902 dans la même localité, à l'âge de 78 ans. Il est le
fils légitime de Jean CUSSON (1797-1870), âgé de 26 ans, et de Thérèze
LABADIE (1800-1859), âgée de 24 ans.
Son fils Pierre, né le 3 juin 1862 à Aiguillon, fut
négociant, ingénieur et constructeur de machines agricoles.
Le 13 avril 1850, l'hebdomadaire L'ILLUSTRATION lui
a consacré l'article qui suit :
Les mécaniques de Joseph Cusson
Quelques journaux ont parlé récemment de l'horloge
curieuse, imaginée et construite par un jeune cultivateur qui habite
sur la rive droite du Lot tout près du pont d'Aiguillon. Nous
sommes à même de mettre sous les yeux de nos lecteurs
des détails plus précis sur les inventions mécaniques
de M. Joseph Cusson, et un croquis que nous devons, aussi bien que
ces détails, à l'obligeance de l'inventeur lui-même.
Joseph Cusson a commencé par des constructions grossières, par des
mécanismes très simples, qui n'avaient d'autre mérite que celui de
charmer ses loisirs.
À l'âge de dix ans il construisait une de ces girouettes où
l'on voit un bonhomme s'escrimer tout seul contre le vent avec deux
sabres, l'un en haut l'autre en bas, présentant, l'un la tranche,
l'autre le plat.
Quatre ans plus tard il présentait une girouette plus savante. Quatre
ailettes fixées sur un arbre horizontal faisaient tourner un arbre
vertical portant une espèce de plateau avec quatre cavaliers.
La troisième construction de Joseph Cusson avait une destination utile.
Il employait la force du vent à monter l'eau du fond d'un puits. Le
mouvement de rotation imprimé par le vent à l'arbre qui portait les
ailes était transmis à un chapelet vertical dont les godets
remplis d'eau venaient successivement se déverser en dehors du puits.
Le jeune paysan n'avait que dix sept ans lorsqu'il fit cette première
application utile de son génie mécanique.
Quatre ans plus tard il entreprit des pièces notablement plus difficiles.
Il réussit à établir une pendule dont la sonnerie était figurée par
un ange et par les douze apôtres. Ceux-ci, rangés circulairement autour
du timbre, frappaient les heures ; les demies et les quarts étaient
frappés par un ange placé au-dessus des apôtres. C'était, après un
simple tournebroche dont le volant était garni de personnages sculptés,
la première pièce d'horlogerie qu'il confectionnât.
Ces ouvrages de précision ne lui faisaient pas oublier les travaux
de la campagne et toujours préoccupé de l'idée de trouver des applications
utiles de la mécanique, il construisit un manège à écraser le chanvre,
manège mu par des bœufs ou des chevaux.
Mais son chef-d'œuvre, la pièce importante à laquelle il a consacré
ces dernières années, est l'horloge
à laquelle il a donné le nom de calendrier mouvant. L'heure et la
minute en (A), la seconde en (B), le jour de la semaine en (C), le
quantième du mois en (D), le nom du mois en (E), le millésime de l'année
en (F), l'âge et même la phase de la lune en (G), sont marqués sur
autant de cadrans spéciaux placés à la face antérieure de l'horloge.
Deux autres cadrans indiquent, l'un, à gauche, l'heure du lever et
du coucher du soleil (I) ; l'autre, à droite, l'heure du lever et
du coucher de la lune (J). Au-dessus des cadrans règne une galerie
(M) avec des cellules dans le milieu et une tour à chacune des deux
extrémités. Lorsque l'heure doit sonner, cinq minutes auparavant,
la porte (L) d'une cellule s'ouvre, et la Mort parait armée de sa
faux, poursuivie par Jésus-Christ, qui la chasse devant lui, le fouet
à la main, la pousse et la renferme dans une autre cellule (N). Au
premier coup de l'horloge, un petit coq (O), perché sur la croix qui
domine une tourelle, bat des ailes et allonge le cou, comme s'il allait
chanter. L'heure sonnée, la mort et le Christ reprennent le chemin
de leurs cellules respectives, et, en rentrant, ils ferment les portes.
Ces mouvements ont lieu le jour de six heures du matin à six heures
du soir ; la nuit ils sont entièrement supprimés. Trois fois par jour,
à six heures du matin, à six heures du soir et à midi, le son de l'Angélus
se fait entendre. La sainte Vierge, sortant de sa cellule P, parait
sur la galerie (M) et va se recueillir dans un oratoire (Q). Au même
instant un ange descend d'une tourelle, il agite ses ailes et va se
placer à une petite distance de la Vierge ; il s'incline comme pour
lui adresser la sublime salutation dont il est parlé dans l'Ecriture.
Marie se trouble, elle tremble, et l'on aperçoit le mouvement de sa
sainte frayeur. Ceci se passe aux trois premiers coups de l'Angélus.
L'ange remonte et renouvelle deux fois encore les mêmes mouvements
et les mêmes saluts. L'ensemble fonctionne avec une justesse et une
précision vraiment remarquables. les rouages, disposés artistiquement
derrière une vitre, permettent au visiteur de se rendre compte en
peu de temps du fini du travail et de la régularité des mouvements.
Ces rouages sont en bois ou en cuivre, et d'un fini qui ne laisse
rien à désirer. L'inventeur a tout conçu, tout exécuté lui-même ;
pendant le jour il travaillait aux champs, et la nuit, à la pâle lueur
d'une lampe, dans un coin de son grenier, il confectionnait son horloge.
Il ne lui a pas fallu moins de six mois pour arrêter le plan et faire
le calcul des engrenages et des cadrans. Trois années ont suffi pour
mener tout l'ouvrage à bonne fin.
Joseph Cusson n'a pas plus de vingt cinq ans. Il n'a, pour ainsi dire
reçu aucune éducation ; l'école primaire qu'il a fréquentée dans son
enfance lui a appris la lecture, l'écriture et un peu de calcul. Ce
qu'il sait de plus, il ne le doit qu'à lui-même. Sans une aptitude
vraiment extraordinaire pour le calcul et pour les études scientifiques
en dehors de la mécanique, il n'aurait pu concevoir même l'idée de
cette pièce curieuse, où l'exécution matérielle est fondée sur une
connaissance très exacte des mouvements des corps célestes.
Sans doute il y a des mécanismes de ce genre. Sans parler de l'horloge
de Strasbourg, de cette merveille due au génie de M. Schwalgué, notre
incomparable artiste mécanicien, on pourrait, en remontant jusqu'à
Charlemagne et même peut-être encore plus haut, trouver la description
de mécanismes plus savants, exigeant plus d'habileté que celui dont
il est question.
Mais n'oublions pas que Joseph Cusson est un simple cultivateur, un
paysan comme on disait autrefois, et que le voilà devenu l'émule des
artistes les plus célèbres.
L'habileté des Anglais dans tous les arts mécaniques est devenue proverbiale.
Nous autres Français nous reconnaissons cette habileté, et
nous proclamons même souvent, comme incontestable, la supériorité
de nos rivaux. Ne faisons pas si bon marché des qualités natives de
notre nation ; car il n'en est aucune autre, peut-être, chez laquelle
le génie de l'invention soit plus développé. Le seul avantage que
les ouvriers anglais aient sur les notres, c'est qu'ils opèrent sur
un plus grand nombre de pièces d'une même nature, et que, grâce à
la division du travail, ils acquièrent dans la confection de ces pièces
spéciales un tour de main que l'habitude longtemps prolongée peut
seule donner. Ce que les Anglais gagnent en exécution, ils le perdent
en invention. Seulement ils concentrent tous leurs efforts dans l'aménagement
des mécanismes susceptibles d'une application industrielle, tandis
que nous songeons uniquement au mérite absolu de l'invention, à la
difficulté vaincue, sans tenir compte de l'utilité pratique. Nous
faisons de l'art pour l'art ou pour la science ; ils n'en font guère
que pour l'industrie.
Le métier à bras fut, dit-on, repoussé par la France avant d'être
introduit en Angleterre.
La première machine à vapeur à cylindre et à piston ne fut construite
par l'Anglais Newcomen qu'après avoir été imaginée, décrite et expérimentée
en petit par le Français Denis Papin.
La filature mécanique du lin, créée à l'étranger par notre compatriote
de Girard, ne nous est revenue qu'après avoir reçu le baptême de l'Angleterre.
Il ne s'agissait dans tout cela que de mécanique purement industrielle.
Mais dès que l'art intervient, la chance est moins mauvaise pour nos
inventeurs. Les automates de Vaucanson, son métier à tisser les étoffes
brochées, et plus tard l'admirable mécanisme de Jacquart ont eu le
succès qu'ils méritent.
Joseph Cusson aura-t-il la même chance ? Nous l'espérons pour lui.
" Bien des curieux, des amateurs, des mécaniciens même, nous
écrit-il, sont venus dans ma chaumière et ne se sont retirés qu'après
m'avoir donné des témoignages, que je crois sincères, de toute leur
satisfaction. J'ai reçu quelques paroles d'encouragement de la bouche
d'hommes recommandables ; ils m'ont dit qu'un nouvel avenir s'ouvrait
devant moi ; ils m'ont offert leur protection… "
Que ces paroles soient suivies d'effets ; que le jeune cultivateur
d'Aiguillon, convenablement patroné, vienne chercher la sanction que
Paris seul, il le reconnait, peut donner à son travail ; et si les
apparences ne sont pas trompeuses, que l'intervention des sociétés
savantes, que l'appui du gouvernement lui fournissent les moyens de
cultiver une si rare, une si remarquable aptitude.