Marie Madeleine de Wignerod de Pontcourlay 1ère duchesse d'Aiguillon
Biographie d'après La duchesse d'Aiguillon par A. Bonneau-Avenant

ZOOM
Peinte par Philippe de Champaigne
Peinture sur email de Petiot (24mmx20mm)
Musée du Louvre
Gravure de Ceroni
d'après la peinture de Petiot au centre
Madame de Combalet par Beaubrun
Hôtel de Ville de Dinan (don de Henri Flaud, Maire)

Cette duchesse d'Aiguillon qui était la nièce de Richelieu a été si souvent mêlée aux événements politiques de son temps, et si étroitement liée à la fortune de son oncle, qu'il est impossible de la raconter sans rappeler les faits historiques de cette époque. L'arbre généalogique simplifié de la famille Richelieu est indispensable pour ne pas être perdu parmi tous les personnages évoqués dans cette biographie.

François de Richelieu
son grand-père
Le cardinal, son oncle
par Philippe de Champaigne
Suzanne de La Porte
sa grand-mère

Enfance.
Marie-Madeleine de Wignerod de Pontcourlay, marquise de Combalet et duchesse d'Aiguillon naquit en décembre 1604 au château de Glénay en Poitou.
Sa mère, Françoise de Richelieu était la sœur aînée d'Armand du Plessis de Richelieu, futur cardinal et ministre, qui était alors évêque de Luçon.
Son père, René de Wignerod, seigneur de Pontcourlay était gentilhomme de la chambre du Roi Henri IV, dont il était déjà le compagnon au combat d'Arques en 1589 ; en 1603, à l'occasion de son mariage il le fit capitaine de sa garde. La famille de Wignerod était venue d'Angleterre sous le règne de Charles VII (1403-1461) s'établir à Pont-de-Courlay en Vendée et un siècle plus tard s'était installée dans le château féodal de Glénay, près de Bressuire, en Poitou, à environ trente kilomètres à l'est.
En 1609, naquit son frère François, baptisé par son oncle Armand, l'évêque de Luçon. François, à deux ans, fit une chute grave qui mit sa vie en danger.

Adolescence marquée par une succession de deuils.
Après l'assassinat d'Henri IV, M. de Pontcourlay revint s'enfermer à Glénay. La petite enfance de Marie-Madeleine a dû être heureuse mais au début de l'année 1616, sa mère s'éteignit à l'âge de trente-sept ans. Marie-Madeleine avait douze ans. On imagine le choc pour elle !
Son père dut repartir à Paris et confia la garde des deux enfants à leur grand-mère maternelle Mme Suzanne de Richelieu qui vivait dans le château de Richelieu, aux confins de la Touraine, de l'Anjou et du Poitou. Elle avait été dame d'atours de la reine Catherine de Médicis. L'adolescente reçut une bonne éducation : son père qui venait souvent la voir, lui enseigna le chant accompagné du luth, l'italien et l'espagnol entre autres. Un prieur venait de Saumur lui donner diverses leçons, de littérature notamment. Femme d'une culture exceptionnelle à son époque, elle parlait quatre langues. Elle partageait avec sa grand-mère une foi profonde.
En avril 1616, son oncle Armand, futur cardinal de Richelieu, vint au château et promit à sa mère de veiller comme un père sur l'avenir de ses deux neveux et il ne s'est jamais démenti. Hélas ! Quelques mois après sa mère, le 14 novembre 1616, Marie-Madeleine assiste à la mort de Suzanne de Richelieu, sa grand-mère qu'elle devait commencer à aimer, étant sa seconde mère.
Marie-Madeleine fut alors confiée à la garde de sa tante Marguerite, marquise de Richelieu, épouse d'Henri de Richelieu, fils aîné de Suzanne de Richelieu.
Le 15 octobre 1618, nouveau décès : sa tante Marguerite mourut en couches après la naissance d'un garçon qui décéda à son tour six semaines plus tard. Henri de Richelieu ne put assister aux obsèques car il avait été exilé en Avignon en compagnie de son frère Armand et de son beau-frère de Pontcourlay sur ordre de Louis XIII influencé par son favori, le duc de Luynes, qui les trouvait trop proches de Marie de Médicis, elle-même exilée à Blois après l'assassinat de Concini.
Marie-Madeleine n'eut plus comme soutien que son autre tante, Nicole de Richelieu, épouse depuis 1618 d' Urbain de Maillé, marquis de Brézé. Elle était Dame d'Atours de Marie de Médicis.
Nouveau coup du sort, son oncle Henri de Richelieu fut tué en duel en 1619.

Le mariage de Mlle de Pontcourlay.
Au début de 1620, l'oncle de Brézé lui fit rencontrer Hippolyte de Béthune, dit "le comte de Béthune", âgé de dix-sept ans, neveu de Sully. Tous les deux, jeunes et beaux, furent mutuellement séduits et leur mariage fut annoncé pour l'été à venir. Mais entre temps, Armand son oncle et son père, pour rentrer en grâces auprès de Louis XIII par l'intermédiaire de Luynes, avaient arrangé le mariage de Marie-Madeleine avec Antoine de Combalet, le neveu du duc de Luynes, favori du roi. Il avait vingt ans, mais était peu séduisant, mal bâti et couperosé. On imagine le désespoir des jeunes fiancés ! Huit jours seulement après qu'on en eût informé la jeune fille, ce mariage imposé fut célébré le 26 novembre 1620, dans la chambre de la reine Anne d'Autriche. Le contrat prévoyait qu'elle recevait soixante mille livres de la reine-mère, quarante mille livres de son oncle évêque de Luçon et qu'elle renonçait à sa part de l'héritage de Pontcourlay au profit de son frère François. Marie-Madeleine, devenue Madame de Combalet n'a jamais rien déclaré de ses sentiments pour son mari. Les grands gagnants de cette affaire furent Luynes qui sera nommé connétable de France et Richelieu qui obtiendra du pape le titre de cardinal à la demande du Roi. Six mois après le mariage, en avril 1621, Combalet dut suivre son oncle Luynes à la guerre contre les protestants de Montauban, tandis que son épouse faisait partie de la cour de la reine-mère qui séjournait en Anjou. Son mari y passa quelques jours fin septembre avant de retourner à l'armée. Montauban ayant résisté, l'armée alla attaquer la place forte protestante de Monheurt, sur la rive gauche de la Garonne, non loin d'Aiguillon. Abandonné par Louis XIII au château de Longuetille, Luynes y mourut de la peste le 15 décembre 1621. La guerre reprit au printemps 1622. Madame de Combalet avait suivi Marie de Médicis aux eaux de Pougues en Nivernais. Le 3 septembre, son mari fut tué au siège de Montpellier lors d'une sortie furieuse des assiégés.

La veuve.
Mme de Combalet était veuve à dix huit ans après un mariage sans amour et sans enfant. Effondrée après une jeunesse tourmentée par les deuils, elle se retira au couvent des Carmélites de Paris et c'est là qu'elle apprit la mort de son père le 16 mars 1624. Elle voulait être reçue religieuse mais son oncle le cardinal Richelieu, devenu premier ministre, fit interdire à sa nièce en 1625, la vie conventuelle, grâce à une intervention pontificale et comme pour son mariage, elle se soumit à lui.

La dame d'atours.
Le premier janvier 1625 elle fut officiellement nommée dame d'atours de Marie de Médicis, succédant à sa tante Mme de Brézé. Attachée à la cour, elle y exerça sa fonction avec respect et dévouement, également appréciée par le roi et Anne d'Autriche. Après le mariage de la sœur de Louis XIII, Henriette de France, avec Charles 1er d'Angleterre, en mai 1625, Richelieu et sa nièce partirent quelques semaines pour le château de Richelieu que le Cardinal voulait transformer en palais, décoré par des artistes italiens.

ZOOM
VEUE GENERALE EN PERSPECTIVE DU CHASTEAU, DES BASSE6COURS, DE L'ANTI-COUR,
DES PARTERRES, DES IARDINS, & C. DE RICHELIEU.

Gravure de Jean Marot après les travaux du cardinal (cliquez sur l'image pour zoomer)

Mme de Combalet en profita pour revoir Glenay où elle fit ériger un somptueux tombeau pour ses parents.

Les gisants de Françoise Du Plessis et de René de Wignerod dans la chapelle du château de Glenay

À la cour on ne cessait de vanter sa beauté, son élégance, la finesse de ses traits, ses admirables épaules… Tout cela se retrouve sur les divers portraits de plusieurs artistes, malheureusement disparus pendant la Révolution et dont ne subsistent que des gravures. Les poètes, les prosateurs louèrent sa beauté ; certains étaient aux gages du cardinal mais voici ce qu'écrit un ennemi juré du cardinal : "Elle arriva à la cour, et avec elle tout ce qu'une grande beauté et une grande jeunesse ont de plus charmant. Tout le monde en fut ébloui. Elle avait, en effet, une majesté toute propre à soutenir l'éclat d'une couronne, et des yeux qui allaient chercher des tributs jusqu'au fond des cœurs les plus insensibles."

Gravure de Montcornet avec au bas les vers de Pierre Lasserre :
On peut dire qu'amour a gravé ce portrait
Voyant tant de douceur dessus ce beau visage
Mais ne le croyez pas, car la vertu l'a fait,
Et s'est peinte elle même, en faisant cet ouvrage.
Gravure de Leblond avec au bas les vers suivants:
L'ingénieux graveur, avec un faible trait
Ne peut bien mettre aujour, dedans cette figure
L'admirable beauté, dont tu vois le portrait,
Qu'en nous représentant la vertu toute pure

Les soupirants se pressaient autour d'elle, mais elle répondait toujours : "J'ai fait vœu de n'être plus qu'à Dieu et je tiendrai ma promesse." Elle revint quelques jours chez les Carmélites, mais Marie de Médicis intervint auprès du Pape pour qu'il lui interdît pour toujours d'entrer en religion ; elle reprit alors son service à la cour.
À partir de 1627 elle s'occupa sans relâche d'œuvres de piété et de charité, en particulier, l'établissement d'une colonie française catholique au Canada. Richelieu réunit des nobles, de riches négociants, des magistrats qui rassemblèrent les fonds nécessaires. Louis XIII encouragea les français catholiques à peupler la Nouvelle France pour convertir au christianisme les " sauvages " et Mme de Combalet a continué à financer cette colonie française.

Chassée de la cour.
En 1628, avant d'aller assiéger les protestants à La Rochelle, Richelieu avait recommandé sa nièce à la marquise de Rambouillet. A l'hôtel de Rambouillet elle devint intime avec Mmes de Sablé, d'Attichy et avec la baronne du Vigean ; elle les dominait par son instruction, au-dessus de la moyenne de la cour, et des hommes de lettres lui dédiaient leurs ouvrages. Cela suscita des jalousies dans l'entourage de Marie de Médicis qui par ailleurs voulait renverser Richelieu, trouvant qu'il avait trop d'influence sur le Roi. Richelieu démissionna pour aller guerroyer contre les espagnols à Casale dans le Piémont pendant que sa nièce revenait chez les Carmélites.
Au printemps 1630, le Roi, les deux reines et la cour avec Mme de Combalet partirent rejoindre Richelieu de retour d'Italie. La cour séjourna à Lyon, Louis XIII allant à la rencontre du cardinal. Le Roi attrapa la dysenterie au camp et rentra à Lyon mourant. Profitant de sa faiblesse, Marie de Médicis lui fit admettre le renvoi de Richelieu et elle-même, sitôt rentré à Paris chassa de la cour Mme de Combalet et tous les parents du cardinal.
De retour à Paris, le 9 novembre, Louis XIII tenta de réconcilier sa mère avec le clan Richelieu, sans succès. Le lendemain, ce fut la " Journée des Dupes " : Marie de Médicis qui croyait avoir gagné la partie apprit que son fils avait tranché en faveur de Richelieu. Quelques jours plus tard elle fut exilée à Compiègne et Richelieu réhabilité. Mme de Combalet réintégra la cour où on la nommait par dérision : " Princesse-nièce ".

Mme de Combalet menacée d'enlèvement.
En 1632, Mme de Combalet restée seule à Paris échappa à un complot fomenté depuis Bruxelles par Marie de Médicis, visant à l'enlever pour faire pression sur Richelieu, dans le triple but d'obtenir :
1- l'autorisation de mettre fin à son exil,
2- d'empêcher le mariage de Mme de Combalet avec son fils Gaston d'Orléans dont la rumeur courait,
3- d'obtenir la grâce de Montmorency, gouverneur du Languedoc, condamné à mort pour s'être rebellé en compagnie de Gaston d'Orléans contre l'autorité du Roi.
Le complot fut découvert par le capitaine du Plessis-Besançon que Richelieu avait chargé de protéger sa nièce, les hommes de main furent arrêtés et emprisonnés. Tout cela n'empêcha pas Marie de Médicis, en 1634, d'oser mendier l'appui de Mme de Combalet pour qu'elle obtînt de Richelieu la levée de son exil. Richelieu s'en rapporta au Roi qui refusa et sa mère continua de comploter.


Gravure de Gabriel Perelle

Quand il ne guerroyait pas, Richelieu vivait dans son château de Ruel et y organisait de somptueuses fêtes avec l'aide de sa nièce, en particulier pour les représentations théâtrales.
C'est au cours de ces fêtes que se décida en 1634 le mariage d'une petite cousine du cardinal, Louise-Philippe de Cambout de Pontchâteau, avec le duc Antoine de Puylaurens, complice de Gaston d'Orléans. Pour ce mariage, le cardinal donna le duché-pairie d'Aiguillon à Puylaurens. Le mariage fut célébré en grande pompe, avec une pièce de Corneille, Mélite, dédiée à Mme de Combalet, repas en musique, bal, le tout en présence d'Anne d'Autriche et de sa cour. Mais Puylaurens continuant de comploter avec les espagnols, il fut arrêté le 11 février 1635, emprisonné à Vincennes où il mourut peu après.
Richelieu en profita pour racheter à sa veuve les terres du duché d'Aiguillon près d'Agen dans le but d'en demander le titre de duchesse pour sa nièce si elle refusait toujours de se remarier. Cela lui fut accordé par le Roi le 1er janvier 1638 avec le titre de pair de France et depuis on la nomma Mme d'Aiguillon.

Madame d'Aiguillon Dame de la Charité et actrice de la propagation de la foi.
Obligée de participer aux festivités de la cour sur ordre de son oncle, elle n'oubliait pas ses bonnes œuvres. Dès le 18 août 1637, Mme d'Aiguillon donna une somme de vingt-deux mille livres pour fonder à perpétuité une mission de quatre prêtres chargés d'instruire et de soulager les habitants pauvres d'Aiguillon.
Elle distribua généreusement des fonds aux religieuses du Précieux-Sang de Notre Seigneur, aux filles du Saint-Sacrement, de la Miséricorde et de la Croix. A ses frais, elle fit construire l'Hôpital Sainte-Marie de la ville de Québec. Elle donnait sans cesse de l'argent pour les œuvres de charité de Vincent de Paul. Pour lui elle créa un hôpital à Marseille pour soigner les galériens. Elle créa l'institution des dames de la Charité destinées à soigner les malades et à secourir les pauvres. Elle-même était dame de la Charité de la paroisse de Saint-Sulpice dont faisait partie son domicile du petit Luxembourg.
En 1642, elle aida financièrement Vincent de Paul à créer un séminaire au collège des Bons-Enfants. La même année, elle créa la société de Notre-Dame-de-Montréal avec une trentaine de donatrices dans le but d'établir dans l'île de Montréal, soixante lieues au-dessus de Québec, une nouvelle colonie sous le nom de Ville-Marie avec une mission catholique destinée à évangéliser les " sauvages ". Le 4 juillet, bien qu'elle ne fût jamais allée dans son duché, elle donna 13500 livres à la mission d'Aiguillon pour l'entretien de trois prêtres supplémentaires qui devaient agir dans l'Agenois et le Condomois.
En 1648, elle acheta de ses deniers les consulats d'Alger et de Tunis, chargés de protéger quatre prêtres qui y secourraient et enseigneraient les chrétiens détenus en esclavage ; pour cela, elle donna quarante mille livres à la maison des missions
En 1653, Paris comptait quarante mille pauvres qui vagabondaient et habitaient la nuit dans onze "cours des miracles". Anne d'Autriche lui donna la maison de la Salpétrière pour qu'elle y fît aménager un hôpital pour loger les mendiants. Cela lui coûta 50 000 livres, Mazarin apporta 150 000 livres et d'autres généreux donateurs y contribuèrent. L'Hôpital Général ouvrit au printemps 1657.
Le 30 septembre 1658, le pape Alexandre VII lui écrivit de Sainte-Marie-Majeure pour la remercier de sa générosité à l'égard des missionnaires apostoliques et lui donner sa bénédiction. En 1660, elle équipa à ses dépens un vaisseau pour transporter en Chine trois évêques et des missionnaires mais l'expédition fit naufrage, alors elle finança un second voyage par terre qui aboutit à la fondation d'un séminaire à Siam.

Mme de Combalet protectrice des gens de lettres.
En 1637, elle imposa à Richelieu le Cid de Corneille pour l'inauguration de la salle de spectacle du Palais-Cardinal [l'actuel Palais Royal] ; en remerciement, Corneille lui dédia le Cid et voici un extrait de la lettre qui accompagnait cet hommage : " …madame, on ne peut douter avec raison de ce que vaut une chose qui a le bonheur de vous plaire ; le jugement que vous en faites est la marque assurée de son prix... " Lire la dédicace complète ICI.
Elle profita d'avoir en main le ministère des libéralités et des aumônes que lui avait confié son oncle pour aider beau coup d'hommes de lettres : Voiture, Colletet, de Gombaud, de Scudéry, Molière…Elle intervint auprès de son oncle pour qu'il octroie une pension à une vieille fille de lettres dans la misère, Marie de Gournay, qui, à 19 ans avait lu les Essais et avait souhaité rencontrer Montaigne qui passait à Paris ; depuis, il l'appelait " sa fille d'alliance " et disait " l'aimer plus que paternellement " ; plus tard, la veuve de Montaigne la chargea de s'occuper de l'édition posthume des Essais.
Voiture qui était un de ses plus anciens amis lui adressa une supplique commençant par :

" Plaise à la duchesse très bonne,
Aux yeux très clairs, aux bruns cheveux,
Reine des flots de la Garonne,
Dame du Loth, et de tous ceux
Qui virent sa personne,
De laisser entrer franchement
Sans peine et sans empêchement
Un homme, au lieu de sa demeure,
Qui, s'il ne la voit promptement,
Enragera dans une heure."

À l'occasion du baptême du Dauphin, en 1639, Richelieu fit jouer par des enfants dans sa résidence du Palais-Cardial L'Amour tyrannique que Scudéry avait dédié à Mme d'Aiguillon. Le rôle principal était tenu brillamment par une enfant de treize ans choisie à dessein par Mme d'Aiguillon, Jacqueline Pascal, la sœur de Blaise Pascal. Mme d'Aiguillon qui portait un grand intérêt à la famille Pascal en profita pour mettre en relation Jacqueline et le cardinal et celui-ci, séduit par des vers qu'elle lui récita, décida de rappeler son père Etienne Pascal de son exil en Auvergne et le nomma intendant de Normandie.
En 1642, le poète Scarron s'adressa à Madame d'Aiguillon pour qu'elle intervînt en sa faveur auprès de Richelieu et elle obtint pour lui un bénéfice ecclésiastique. Il lui adressa les vers qui suivent :

" Sage duchesse d'aguillon,
De mes vers la noble matière ;
En une si vaste carrière,
Je n'ai point un autre aiguillon
Qu'une affection très entière,
Dont vous voyez l'échantillon. "

Elle tint également, au palais du Petit-Luxembourg, un salon aussi célèbre que celui de Mme de Sablé ou Mme de Rambouillet. Corneille fut naturellement parmi les premiers à fréquenter son salon, mais de nombreuses personnalités s'y rencontrèrent, en particulier le grand Blaise Pascal, au cours de sa période mondaine dont les Provinciales se feront l'écho. Il y présenta sa fameuse machine à calculer.
Peu avant la mort de Richelieu, elle obtint de lui, par amitié pour Mme d'Aubigné, qu'il fît libérer son mari, Constant d'Aubigné, emprisonné car soupçonné de l'assassinat de sa première épouse ; il était le fils du poète Agrippa d'Aubigné et le père de Françoise, future Mme de Maintenon.
Elle soutint aussi les peintres en les comblant du juste tribut de son admiration : Claude Gelée dit le Lorrain, peintre du soleil et de la mer ; Nicolas Poussin, peintre de l'esprit et de la raison ; E. Lesueur, celui de l'amour et de la foi. Après la mort de Richelieu, elle continua à leur verser les pensions que le cardinal leur avait attribuées.

La mort de Richelieu.
Le cardinal étant tombé gravement malade dans la nuit du 28 novembre 1642, sa nièce l'assista durant toute sa maladie en s'installant au Palais-Cardinal et en organisant des prières pour son salut. Le roi vint le voir plusieurs fois et au cours d'une des visites, Richelieu lui recommanda de prendre Mazarin comme ministre.
Il succomba le 4 décembre après avoir demandé à sa nièce de s'éloigner. Il lui dit en lui baisant la main : "Vous êtes la personne que j'ai le plus aimée".
Un quatrain courut dans Paris :

" Si la pauvre duchesse pleure
Hélas ! Pourquoi s'étonner tous ?
Ne perd-elle pas à même heure
Et le père, et l'oncle, et l'époux. "

(En rapport avec ce quatrain, lisez en bas de cette page un article paru dan Le Petit Bleu des Côtes d'Armor le 22 novembre 2021)

Le 13 décembre, il fut descendu dans son tombeau au centre du chœur de la chapelle de la Sorbonne qu'il avait fait bâtir en 1635.
Dans son testament, il lègue à sa nièce le Petit-Luxembourg, le domaine de Pontoise et la maison et la terre de Ruel qui iront après la mort de Mme d'Aiguillon au fils aîné de son frère François qui portera alors le nom et les armes de Richelieu. Suivant le désir de son oncle, elle prit sous sa tutelle les cinq enfants de son frère, incapable de s'occuper de leur éducation, tutelle officialisée par acte notarié sur les conseils de Mazarin.

À la cour d'Anne d'Autriche.
Le cardinal avait légué à l'aîné de ses petits-neveux, Armand-Jean de Vignerod, le titre de duc de Richelieu et la charge de gouverneur du Havre qu'il voulait garder dans sa famille, mais jusqu'à sa majorité [25 ans] cette charge incomba à Mme d'Aiguillon. Cela suscita à la cour la jalousie de la duchesse de Chevreuse qui exigeait auprès d'Anne d'Autriche, la Régente, cette charge pour le duc de La Rochefoucauld. Mazarin soutint Mme d'Aiguillon qui conserva cette charge.
La famille de Condé lui intenta une série de procès pour essayer de récupérer une partie de l'héritage de Richelieu. Pourtant quand le Grand Condé avait épousé Claire Clémence de Maillé, cousine germaine de Mme d'Aiguillon [voir l'arbre généalogique ci-dessus], Richelieu l'avait comblé de biens et d'argent à condition de renoncer à l'héritage Richelieu ; procès perdu.


Claire Clémence de Maillé

Condé

Anne d'Autriche et sa cour passèrent l'été 1644 et ses grandes chaleurs chez Mme d'Aiguillon dans le domaine de Ruel, montrant ainsi des marques de sa protection contre Condé. En 1646, elle reçut le privilège du Roi pour faire imprimer en édition de luxe les œuvres de son oncle : l'Instruction du chrétien, le Livre des controverses pour convertir les protestants et une Invocation à la Vierge.
La même année, son frère mourut d'épuisement et sa veuve s'empressa dix mois après de se remarier au comte d'Aurouër et de partir en Bretagne sans se soucier de ses enfants que madame d'Aiguillon dut recueillir ainsi que Mme du Vigean, son amie de vingt années complètement ruinée, dans son palais du Petit-Luxembourg, et elle la garda près d'elle jusqu'à sa mort. Les rumeurs sur les supposées relations entre les deux femmes enflèrent. Tallemant des Réaux dit : " Mme du Vigean se jeta à corps perdu dans les bras de Mme d'Aiguillon et elle eût été une tigresse si elle l'eût rejetée. Depuis, elle a été son intendante, sa secrétaire, sa garde-malade, et a tout quitté pour se donner entièrement à elle. "

Mme d'Aiguillon mêlée à La fronde.
L'année 1648 commença par l'opposition des parlements à l'augmentation des impôts, nécessaire pour combler les dettes de l'état. Vers la fin juillet, les troubles s'accentuèrent et la Régente mit les bijoux de la couronne en gage, emprunta à la princesse de Condé cent mille livres et Mme d'Aiguillon proposa de donner tout ce qu'on lui demanderait. Néanmoins, la guerre civile commença le 26 août par la " Journée des Barricades ".
Le 12 septembre, la Régente, le Dauphin et Mazarin filèrent se réfugier à Ruel chez Mme d'Aiguillon jusqu'au 24 où ils partirent pour Saint-Germain, plus sûr en cas d'attaque.
Le 18 octobre une trêve fut signée, les réfugiés revinrent à Paris pour la Toussaint.
Le 6 janvier 1649, les troubles persistant, nouveau départ pour Saint-Germain, Paris en état de siège. Du 2 au 12 mars des pourparlers s'engagèrent entre la régente et le parlement en terrain neutre… à Ruel. La cour ne revint à Paris que le 18 août.
Le 25 décembre 1649, le Dauphin fit sa première communion à Saint-Eustache et le même jour, le jeune duc de Richelieu, Armand-Jean de Vignerod épousa clandestinement une veuve de 27 ans, Anne de Fors, fille aînée de Madame du Vigean, la grande amie de Mme d'Aiguillon.


Armand-jean de Vignerod

Anne de Fors

Condé était dans les coulisses de ce mariage ; le duc de Richelieu devant être à sa majorité le gouverneur du Havre, Condé espérait l'influencer dans le sens de ses intérêts. La duchesse d'Aiguillon fut catastrophée, se rendant compte que son neveu avait été manipulé par une intrigante et envisagea de faire casser ce mariage mais les événements de la Fronde l'en empêchèrent. Anne de Fors mourut sans enfants en 1684 et ensuite, Armand-Jean eut deux autres épouses dont il eut Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis en 1696, futur duc de Richelieu, pair, et maréchal de France.
La régente et Mazarin voyant clair dans le jeu de Condé décidèrent de l'arrêter, ainsi que ses complices Conti et Longueville. Cela fut fait le 18 janvier 1650 et ils furent enfermés dans la citadelle du Havre. Ce fut le début de la Fronde des Princes. Un an après, le 13 février 1651, les Princes furent libérés, Mazarin proscrit à Cologne, le parlement triomphait. Louis XIV avait atteint la majorité, il mena la lutte contre les nobles dissidents avec Turenne à la tête de son armée.
Durant toute cette période, Mme d'Aiguillon, dégoûtée de ces désordres, se consacra entièrement à soulager la misère du peuple, elle fit soigner Vincent de Paul malade, lui offrit un carrosse et un attelage pour le soulager dans ses déplacements qu'il faisait jusque-là à pied. Nouvelle déconvenue pour Mme d'Aiguillon, le 6 novembre 1652, elle apprit le mariage de Jean-Baptiste Amador de Vignerod, son autre neveu, marquis de Richelieu avec Mlle de Beauvais, fille d'une femme de chambre de la Reine, alors qu'elle espérait une épouse d'un plus haut rang. Après l'avoir éloigné de son épouse en l'envoyant en Italie, elle essaya de faire annuler le mariage, mais ce ne fut pas possible légalement.
Vexée, elle abandonna la tutelle et remit à ses neveux toute leur fortune. Peu à peu, elle s'éloigna de la cour pour se consacrer à ses œuvres de charité. De plus elle remarqua qu'Anne d'Autriche devenait froide et réservée à son égard ; peut-être avait-elle été imprudente d'avoir fait allusionaux assiduités de Mazarin auprès de la Reine, en sa présence ?

Gouverneur du Havre et gros ennuis familiaux.
En mai 1658, fait exceptionnel pour une femme, elle obtint de Louis XIV le commandement du Havre pour y faire renforcer les fortifications, accumuler les vivres et les munitions pour la garnison, en cas d'attaque. Sa prévoyance fut très utile à Louis XIV et à Turenne qui assiégeaient Dunkerque tenue par les espagnols. Louis XIV lui écrivit de Calais pour lui demander d'urgence quatre ou cinq mille boulets de calibre 24, ce qu'elle fit aussitôt, contribuant ainsi à la victoire de Turenne qui prit la ville le 14 juin 1658.
Le 26 août 1660, elle assista à l'Hôtel d'Aumont dans le faubourg Saint-Antoine, en compagnie de Mazarin et des dames de la cour, à l'accueil de Louis XIV et de l'infante d'Espagne, de retour de Saint-Jean-de-Luz où ils s'étaient mariés le 9 juin.
Peu après, elle alla soigner Vincent de Paul, tombé gravement malade mais malgré ses bons soins, il mourut le 27 septembre 1660 et elle assista à ses funérailles le lendemain. A la même époque mourut Scarron, aussitôt Mme d'Aiguillon rencontra sa veuve et intervint auprès de Mazarin pour que la pension faite à son mari fût augmentée et attribuée à la petite fille d'Agrippa d'Aubigné.
Ses neveux lui causèrent de nouvelles craintes : le plus jeune, l'abbé Emmanuel-Joseph de Vignerod comte de Richelieu tomba gravement malade de la poitrine, tandis que l'aîné, Armand-Jean duc de Richelieu lui intentait un nouveau procès au sujet de la succession du cardinal, que sa tante gagna. Elle eut par la suite la faiblesse d'accepter ses excuses, si bien que le second neveu, Jean-Baptiste Amador marquis de Richelieu, profitant de la bonté de sa tante vint lui avouer être criblé de dettes, ne sachant comment faire vivre sa femme et ses trois enfants et la duchesse se dévoua de nouveau.
L'aîné était très riche, sans enfants et avait la charge de général des galères que sa tante lui demanda de céder à son frère pour que ses enfants puissent continuer d'honorer le nom de Richelieu. Devant son refus, la duchesse fit intervenir l'autorité de Mazarin qui obtint que l'aîné payât les dettes de son frère et lui assurât une rente de 20 000 livres. Malheureusement, Jean-Baptiste Amador mourut le 11 avril 1662, suivi par sa veuve le 30 avril 1663, laissant deux fils et trois filles à la charge de Mme d'Aiguillon.
Mazarin mourut le 9 mars 1661, mais quelques jours avant, il avait marié sa nièce Hortense Mancini avec le duc de la Meilleraye, cousin de Mme d'Aiguillon qui le remercia d'avoir uni leurs deux familles.

Les dernières années.
À soixante et un ans, elle commençait à ressentir les fatigues de la vieillesse mais jamais elle ne donna autant de son temps à secourir les pauvres, les malades et les prisonniers malgré une santé fragile. Elle se retirait souvent chez les Carmélites et son palais du Petit-Luxembourg restait ouvert pour les œuvres de bienfaisance ; toujours vêtue modestement et n'utilisant pas de carrosse, on lui fit une réputation d'avarice mais elle ne l'était pas pour secourir les déshérités. Un jour qu'elle servait une femme au refuge des Filles repenties elle dit à quelqu'un qui s'en étonnait : " Mais n'est-ce pas merveille de voir une grande pécheresse en servir d'autres ? À quels péchés faisait-elle allusion ?
L'année 1665 lui vit perdre son neveu l'abbé Emanuel-Joseph le 9 janvier et sa nièce Marie-Marthe, restée célibataire, le 1er septembre. Mme d'Aiguillon reporta son affection sur son autre nièce Marie-Thérèse de Wignerod de Pontcourlay de Richelieu dite Mlle d'Agenois et elle en fit dans son testament du 17 mai 1674, sa légataire universelle, gardienne de la fortune des Richelieu et chargée de l'éducation des enfants de Jean-Baptiste Amador.
Elle sera, après la mort de sa tante, la seconde duchesse d'Aiguillon et pair de France, titres qu'elle laissera à Louis-Armand de Wignerod, le fils aîné de Jean-Baptiste Amador. Elle avait pris et quitté plusieurs fois le voile des novices sans jamais se décider et n'avait jamais voulu se marier.
Marie-Madeleine était malheureuse de voir mourir tant de membres de sa famille ainsi que plusieurs amies et elle ne sortait de chez elle que pour aller les soutenir pendant leur agonie. Anne d'Autriche mourut le 20 janvier 1666. Madame du Vigean lui resta fidèle et fut sa garde-malade.


Madame du Vigean

Le testament de Mme d'Aiguillon prévoyait soixante-cinq legs à des amies, des prêtres, des couvents, des églises, des hôpitaux pour un total de 161 700 livres.
"A la marquise du Vigean, 6000 livres de rentes viagères et 6000 livres de meubles pour récompenser l'affection sincère qu'elle m'a toujours témoignée et dont je dois lui rendre des hommages publics." (extrait de son testament)
Onze mois après, le 17 avril 1675, elle décéda et fut enterrée sans pompe ni tenture à sa demande, le 19 aux Carmélites, après une messe à Saint-Sulpice avec une assistance nombreuse. Elle ne voulut comme épitaphe que :

Domine, miserere super ista peccatrice
( Seigneur, aie pitié de cette pécheresse )

***

Le Petit Bleu des Côtes d'Armor, 22 novembre 2021

Dinan : les Secrets de la Duchesse de l'Hôtel de Ville

Sainte ou amante polyvalente, la duchesse de l'Hôtel de ville ? Voici, en prélude à la parution du Pays de Dinan 2021 quelques révélations sur cette personnalité transgressive.

Qui était réellement la duchesse d' Aiguillon (1604-1675), la nièce de Richelieu, dont le portrait trône dans la salle d'honneur de la mairie de Dinan ?
La jeune femme modèle que sa robe de satin blanc suggère aux érudits ?

Où se trouvait ce portrait de Marie-Madeleine de Vignerot de Poncourlay, épouse à 16 ans du marquis de Combalet et veuve à 18, avant de devenir l'icône, offerte (1873) par le maire Henri Flaud (1816-1874), à la ville de Dinan ?

Le décolleté de la duchesse.
Christine et Pascal Destouches, les détectives de l'histoire, les émules d'Agatha Christie, les sagaces Tommy et Tuppence du pays de Dinan (2019), ont eu plus de succès en établissant la biographie du député-maire Flaud et la nomenclature de nos 70 sous-préfets qu'à remonter la piste de la nièce de Richelieu.
Sa " ministre des charités " , comme la qualifiait le conservateur Frédéric Bonnor dans sa conférence pour la Nuit des musées 2020 !

Mais la ravissante veuve, dont le décolleté chavirait les têtes, n'était elle pas davantage pour Richelieu (1585-1642) , déjà évêque à 22 ans ? Charité bien ordonnée commence par moi-même !

" Vous êtes la personne que j'ai le plus aimée ", lui murmura le cardinal-ministre de Louis XIII sur son lit de mort.

La belle a 38 ans lorsqu'il décède. Il a réussi à lui faire offrir un duché. Elle va hériter de ses châteaux dans les années où a été peint le tableau dinannais, " qui pourrait donc être des cousins Beaubrun " , précise Frédéric Bonnor.

Les Beaubrun sont des " serial painters " Ils croquent à la chaîne reines et princes du Grand Siècle.

Une des premières icônes du gay power ?
Sur la toile, la sulfureuse duchesse d'Aiguillon " est vêtue d'une longue robe de satin blanc bordé de rangs de perles ; un manteau bleu doublé d'hermines git au sol ; sa main droite touche délicatement une corbeille de fleurs " .

Sage comme son image ! Mais fut elle l'amante du tonton-cardinal ? Fut elle aussi l'une des premières icônes du gay power comme le suggèrerait Michel Larivière (Dictionnaire historique des homosexuel-le-s célèbres, La Musardine, 2017) ?

Jusqu'au bout l'énigme demeure, celle du tableau dinannais d'abord. On le donne de l'école de Mignard. Puis il est qualifié de " copie d'époque " par Frédéric Bonnor sollicité par l'enquêteur Destouches (Pays de Dinan). En 2020, M Bonnor l'attribue aux Beaubrun, les " Dupond et Dupont " du portrait Grand Siècle. Avec des réserves. Car la vie de la duchesse, aussi, demeure une énigme.

Deux enfants du cardinal ?

" Qui est-ce qui la connaissait ? Jamais, il n'y a rien eu de plus connu, ni rien de moins connu tout à la fois, c'était un mystère caché ! " , s'interroge l'abbé Jean-Charles de Brisacier (1642-1736) dans son éloge funèbre qui atteint 48 pages (Ed Angot, Paris, 1675). Mais Brisacier-quel nom!- est sous le charme malgré les circonstances.

La duchesse le rend lyrique :

" Ne parlons ni de son extérieur, ni de son esprit quoiqu'on peut dire en passant qu'il eût été difficile de trouver une plus belle âme logée dans un plus beau corps. "

On ne peut être plus explicite dans un sermon d'enterrement (13 mai 1675) devant la Cour !

Chroniqueur coquin, Guy Breton se montre plus cru dans Histoires d'amour de l'histoire de France (Tome 3, 1957) :

" Le cardinal, qui avait au plus haut point l'esprit de famille, devint son amant. De cette liaison, qui dura jusqu'à la mort du Premier ministre, naquirent deux enfants. "

Certains chroniqueurs parlent de trois. Nouveau mystère : la généalogie de la bienfaitrice des Missions étrangères et fondatrice de l'Hôtel-Dieu de Québec (1639) qu'elle finance n'en dénombre aucun !

Une vénéneuse Dalila

Mais son intimité avec le cardinal est de notoriété publique. Gédéon Tallemant de Réaux (1619-1692), le Stéphane Bern du roi Louis, ne redoute pas de ragoter un peu :

" On a fort médit de son oncle et d'elle ; il aimait les femmes et craignait le scandale. Sa nièce était belle, et on ne pouvait trouver étrange qu'il vécût familièrement avec elle. Effectivement elle en usait peu modestement ; car, à cause qu'il aimait les bouquets, elle en avait toujours, et elle l'allait voir la gorge découverte. "

Dans ses Historiettes (La Pléiade), Tallemant de Réaux parle d'elle comme d'une vénéneuse Dalila qui aurait dompté son Samson de Cardinal tout-puissant. On la dit radine-sauf pour les bonnes œuvres !- mais insatiable.

L'échotier poursuit :

" On a fait bien des médisances d'elle et de madame Du Vigean. Elles s'écrivaient des lettres les plus amoureuses du monde. Madame Du Vigean se jeta à corps perdu dans les bras de madame d'Aiguillon. C'eût été une tigresse si elle l'eût rejetée. Elle a été son intendante, sa secrétaire, sa garde-malade, et a quitté son ménage pour se donner entièrement à elle. "

L'historienne Françoise Hildesheimer (Richelieu, Flammarion) explique que son désir de s'entourer de belles femmes ne se limitait pas à Mme de Vigean. Mais les chansonniers n'ont donc pas loupé le mari délaissé :

" Dans l'abondance de ses cornes/ On ne saurait trouver de bornes. "

Le tableau de la mairie de Dinan reflète l'image d'une duchesse que l'on dirait chaste, innocente. Pas l'amante exigeante qu'évoquent les petits romans, les vers persifleurs et les chansons lestes du 17° siècle. Richelieu n'est pas le seul cardinal gaillard, ni la duchesse d'Aiguillon, l'unique princesse appréciant le clergé à sa façon. Elles sont deux au moins. Et d'anonymes humoristes tirent la morale de l'affaire :

" Ne pensant point faire de mal, et ne s'en iront point à confesse, d'aimer chacune un Cardinal, car laisser lever sa chemise, et mettre ainsi leur corps à l'abandon, n'est que se soumettre à l'Eglise, qui leur donnera son pardon. "

Reste maintenant à savoir comment la dame qui cachait si joliment son jeu entra dans la collection du maire Flaud. Un défi pour Tommy, Tuppence, Frédéric Bonnor et les fins limiers du Pays de Dinan.

Jean-Yves RUAUX

Retour au quatrain Retour à l'accueil