Enfance.
Marie-Madeleine de Wignerod de Pontcourlay,
marquise de Combalet et duchesse d'Aiguillon naquit en décembre
1604 au château de Glénay en Poitou.
Sa mère, Françoise de Richelieu était la sœur aînée d'Armand du
Plessis de Richelieu, futur cardinal et ministre, qui était alors
évêque de Luçon.
Son père, René de Wignerod, seigneur de Pontcourlay était gentilhomme
de la chambre du Roi Henri IV, dont il était déjà le compagnon
au combat d'Arques en 1589 ; en 1603, à l'occasion de son mariage
il le fit capitaine de sa garde. La famille de Wignerod était
venue d'Angleterre sous le règne de Charles VII (1403-1461) s'établir
à Pont-de-Courlay en Vendée et un siècle plus tard s'était installée
dans le château féodal de Glénay, près de Bressuire, en Poitou,
à environ trente kilomètres à l'est.
En 1609, naquit son frère François,
baptisé par son oncle Armand, l'évêque de Luçon. François, à deux
ans, fit une chute grave qui mit sa vie en danger.
Adolescence marquée par une succession de deuils.
Après l'assassinat d'Henri IV, M. de Pontcourlay revint s'enfermer
à Glénay. La petite enfance de Marie-Madeleine a dû être heureuse
mais au début de l'année 1616, sa mère s'éteignit à l'âge de trente-sept
ans. Marie-Madeleine avait douze ans. On imagine le choc pour
elle !
Son père dut repartir à Paris et confia la garde des deux enfants
à leur grand-mère maternelle Mme Suzanne de Richelieu qui vivait
dans le château de Richelieu, aux confins de la Touraine, de l'Anjou
et du Poitou. Elle avait été dame d'atours de la reine Catherine
de Médicis. L'adolescente reçut une bonne éducation : son père
qui venait souvent la voir, lui enseigna le chant accompagné du
luth, l'italien et l'espagnol entre autres. Un prieur venait de
Saumur lui donner diverses leçons, de littérature notamment. Femme
d'une culture exceptionnelle à son époque, elle parlait quatre
langues. Elle partageait avec sa grand-mère une foi profonde.
En avril 1616, son oncle Armand, futur cardinal de Richelieu,
vint au château et promit à sa mère de veiller comme un père sur
l'avenir de ses deux neveux et il ne s'est jamais démenti. Hélas
! Quelques mois après sa mère, le 14 novembre 1616, Marie-Madeleine
assiste à la mort de Suzanne de Richelieu, sa grand-mère qu'elle
devait commencer à aimer, étant sa seconde mère.
Marie-Madeleine fut alors confiée à la garde de sa tante Marguerite,
marquise de Richelieu, épouse d'Henri de Richelieu, fils aîné
de Suzanne de Richelieu.
Le 15 octobre 1618, nouveau décès : sa tante Marguerite mourut
en couches après la naissance d'un garçon qui décéda à son tour
six semaines plus tard. Henri de Richelieu ne put assister aux
obsèques car il avait été exilé en Avignon en compagnie de son
frère Armand et de son beau-frère de Pontcourlay sur ordre de
Louis XIII influencé par son favori, le duc de Luynes, qui les
trouvait trop proches de Marie de Médicis, elle-même exilée à
Blois après l'assassinat de Concini.
Marie-Madeleine n'eut plus comme soutien que son autre tante,
Nicole de Richelieu, épouse depuis 1618 d' Urbain de Maillé,
marquis de Brézé. Elle était Dame d'Atours de Marie de
Médicis.
Nouveau coup du sort, son oncle Henri de Richelieu fut tué en
duel en 1619.
Le mariage de Mlle de Pontcourlay.
Au début de 1620, l'oncle de Brézé lui fit rencontrer Hippolyte
de Béthune, dit "le comte de Béthune", âgé de
dix-sept ans, neveu de Sully. Tous les deux, jeunes et beaux,
furent mutuellement séduits et leur mariage fut annoncé pour l'été
à venir. Mais entre temps, Armand son oncle et son père, pour
rentrer en grâces auprès de Louis XIII par l'intermédiaire de
Luynes, avaient arrangé le mariage de Marie-Madeleine avec Antoine
de Combalet, le neveu du duc de Luynes, favori du roi. Il avait
vingt ans, mais était peu séduisant, mal bâti et couperosé. On
imagine le désespoir des jeunes fiancés ! Huit jours seulement
après qu'on en eût informé la jeune fille, ce mariage imposé fut
célébré le 26 novembre 1620, dans la chambre de la reine Anne
d'Autriche. Le contrat prévoyait qu'elle recevait soixante mille
livres de la reine-mère, quarante mille livres de son oncle évêque
de Luçon et qu'elle renonçait à sa part de l'héritage de Pontcourlay
au profit de son frère François. Marie-Madeleine, devenue Madame
de Combalet n'a jamais rien déclaré de ses sentiments pour son
mari. Les grands gagnants de cette affaire furent Luynes qui sera
nommé connétable de France et Richelieu qui obtiendra du pape
le titre de cardinal à la demande du Roi. Six mois après le mariage,
en avril 1621, Combalet dut suivre son oncle Luynes à la guerre
contre les protestants de Montauban, tandis que son épouse faisait
partie de la cour de la reine-mère qui séjournait en Anjou. Son
mari y passa quelques jours fin septembre avant de retourner à
l'armée. Montauban ayant résisté, l'armée alla attaquer la place
forte protestante de Monheurt, sur la rive gauche de la Garonne,
non loin d'Aiguillon. Abandonné par Louis XIII au château
de Longuetille, Luynes y mourut de la peste le 15 décembre 1621.
La guerre reprit au printemps 1622. Madame de Combalet avait suivi
Marie de Médicis aux eaux de Pougues en Nivernais. Le 3 septembre,
son mari fut tué au siège de Montpellier lors d'une sortie furieuse
des assiégés.
La veuve.
Mme de Combalet était veuve à dix huit ans après un mariage sans
amour et sans enfant. Effondrée après une jeunesse tourmentée
par les deuils, elle se retira au couvent des Carmélites de Paris
et c'est là qu'elle apprit la mort de son père le 16 mars 1624.
Elle voulait être reçue religieuse mais son oncle le cardinal
Richelieu, devenu premier ministre, fit interdire à sa nièce en
1625, la vie conventuelle, grâce à une intervention pontificale
et comme pour son mariage, elle se soumit à lui.
La dame d'atours.
Le premier janvier 1625 elle fut officiellement nommée dame d'atours
de Marie de Médicis, succédant à sa tante Mme de Brézé. Attachée
à la cour, elle y exerça sa fonction avec respect et dévouement,
également appréciée par le roi et Anne d'Autriche. Après le mariage
de la sœur de Louis XIII, Henriette de France, avec Charles 1er
d'Angleterre, en mai 1625, Richelieu et sa nièce partirent quelques
semaines pour le château
de Richelieu que le Cardinal voulait transformer en
palais, décoré par des artistes italiens.
VEUE GENERALE EN PERSPECTIVE DU CHASTEAU, DES BASSE6COURS, DE
L'ANTI-COUR,
DES PARTERRES, DES IARDINS, & C. DE RICHELIEU.
Gravure de Jean Marot après les travaux du cardinal (cliquez
sur l'image pour zoomer)
Mme de Combalet en profita pour revoir Glenay
où elle fit ériger un somptueux tombeau pour ses parents.
|
|
Les gisants de Françoise Du Plessis
et de René de Wignerod dans la chapelle du château
de Glenay
|
À la cour on ne cessait de vanter sa beauté,
son élégance, la finesse de ses traits, ses admirables épaules…
Tout cela se retrouve sur les divers portraits de plusieurs artistes,
malheureusement disparus pendant la Révolution et dont ne subsistent
que des gravures. Les poètes, les prosateurs louèrent sa beauté
; certains étaient aux gages du cardinal mais voici ce qu'écrit
un ennemi juré du cardinal : "Elle arriva à la cour, et avec
elle tout ce qu'une grande beauté et une grande jeunesse ont de
plus charmant. Tout le monde en fut ébloui. Elle avait, en effet,
une majesté toute propre à soutenir l'éclat d'une couronne, et
des yeux qui allaient chercher des tributs jusqu'au fond des cœurs
les plus insensibles."
|
|
Gravure de Montcornet avec
au bas les vers de Pierre Lasserre :
On peut dire qu'amour a gravé ce portrait
Voyant tant de douceur dessus ce beau visage
Mais ne le croyez pas, car la vertu l'a fait,
Et s'est peinte elle même, en faisant cet ouvrage.
|
Gravure de Leblond avec
au bas les vers suivants:
L'ingénieux graveur, avec un faible trait
Ne peut bien mettre aujour, dedans cette figure
L'admirable beauté, dont tu vois le portrait,
Qu'en nous représentant la vertu toute pure
|
Les soupirants se pressaient autour d'elle, mais
elle répondait toujours : "J'ai fait vœu de n'être plus qu'à
Dieu et je tiendrai ma promesse." Elle revint quelques jours
chez les Carmélites, mais Marie de Médicis intervint auprès du
Pape pour qu'il lui interdît pour toujours d'entrer en religion
; elle reprit alors son service à la cour.
À partir de 1627 elle s'occupa sans relâche d'œuvres de
piété et de charité, en particulier, l'établissement d'une colonie
française catholique au Canada. Richelieu réunit des nobles, de
riches négociants, des magistrats qui rassemblèrent les fonds
nécessaires. Louis XIII encouragea les français catholiques à
peupler la Nouvelle France pour convertir au christianisme les
" sauvages " et Mme de Combalet a continué à financer cette colonie
française.
Chassée de la cour.
En 1628, avant d'aller assiéger les protestants à La Rochelle,
Richelieu avait recommandé sa nièce à la marquise
de Rambouillet. A l'hôtel de Rambouillet elle devint
intime avec Mmes de Sablé, d'Attichy et avec la baronne du Vigean
; elle les dominait par son instruction, au-dessus de la moyenne
de la cour, et des hommes de lettres lui dédiaient leurs ouvrages.
Cela suscita des jalousies dans l'entourage de Marie de Médicis
qui par ailleurs voulait renverser Richelieu, trouvant qu'il avait
trop d'influence sur le Roi. Richelieu démissionna pour aller
guerroyer contre les espagnols à Casale dans le Piémont pendant
que sa nièce revenait chez les Carmélites.
Au printemps 1630, le Roi, les deux reines et la cour avec Mme
de Combalet partirent rejoindre Richelieu de retour d'Italie.
La cour séjourna à Lyon, Louis XIII allant à la rencontre du cardinal.
Le Roi attrapa la dysenterie au camp et rentra à Lyon mourant.
Profitant de sa faiblesse, Marie de Médicis lui fit admettre le
renvoi de Richelieu et elle-même, sitôt rentré à Paris chassa
de la cour Mme de Combalet et tous les parents du cardinal.
De retour à Paris, le 9 novembre, Louis XIII tenta de réconcilier
sa mère avec le clan Richelieu, sans succès. Le lendemain, ce
fut la " Journée des Dupes " : Marie de Médicis qui croyait
avoir gagné la partie apprit que son fils avait tranché en faveur
de Richelieu. Quelques jours plus tard elle fut exilée à Compiègne
et Richelieu réhabilité. Mme de Combalet réintégra la cour où
on la nommait par dérision : " Princesse-nièce ".
Mme de Combalet menacée d'enlèvement.
En 1632, Mme de Combalet restée seule à Paris échappa à un complot
fomenté depuis Bruxelles par Marie de Médicis, visant à l'enlever
pour faire pression sur Richelieu, dans le triple but d'obtenir
:
1- l'autorisation de mettre fin à son exil,
2- d'empêcher le mariage de Mme de Combalet avec son fils Gaston
d'Orléans dont la rumeur courait,
3- d'obtenir la grâce de Montmorency, gouverneur du Languedoc,
condamné à mort pour s'être rebellé en compagnie de Gaston d'Orléans
contre l'autorité du Roi.
Le complot fut découvert par le capitaine du Plessis-Besançon
que Richelieu avait chargé de protéger sa nièce, les hommes de
main furent arrêtés et emprisonnés. Tout cela n'empêcha pas Marie
de Médicis, en 1634, d'oser mendier l'appui de Mme de Combalet
pour qu'elle obtînt de Richelieu la levée de son exil. Richelieu
s'en rapporta au Roi qui refusa et sa mère continua de comploter.

Gravure de Gabriel Perelle
Quand il ne guerroyait pas, Richelieu
vivait dans son château de Ruel et y organisait de somptueuses
fêtes avec l'aide de sa nièce, en particulier pour les représentations
théâtrales.
C'est au cours de ces fêtes que se décida
en 1634 le mariage d'une petite cousine du cardinal, Louise-Philippe
de Cambout de Pontchâteau, avec le duc Antoine de Puylaurens,
complice de Gaston d'Orléans. Pour ce mariage, le cardinal donna
le duché-pairie d'Aiguillon à Puylaurens. Le mariage
fut célébré en grande pompe, avec une pièce de Corneille, Mélite,
dédiée à Mme de Combalet, repas en musique, bal, le tout en présence
d'Anne d'Autriche et de sa cour. Mais Puylaurens continuant de
comploter avec les espagnols, il fut arrêté le 11 février 1635,
emprisonné à Vincennes où il mourut peu après.
Richelieu en profita pour racheter à sa veuve les terres du duché
d'Aiguillon près d'Agen dans le but d'en demander le titre de
duchesse pour sa nièce si elle refusait toujours de se remarier.
Cela lui fut accordé par le Roi le 1er janvier 1638 avec le titre
de pair de France et depuis on la nomma Mme d'Aiguillon.
Madame d'Aiguillon Dame de la Charité et actrice
de la propagation de la foi.
Obligée de participer aux festivités de la cour sur ordre de son
oncle, elle n'oubliait pas ses bonnes œuvres. Dès le 18 août 1637,
Mme d'Aiguillon donna une somme de vingt-deux mille livres pour
fonder à perpétuité une mission de quatre prêtres chargés d'instruire
et de soulager les habitants pauvres d'Aiguillon.
Elle distribua généreusement des fonds aux religieuses du Précieux-Sang
de Notre Seigneur, aux filles du Saint-Sacrement, de la Miséricorde
et de la Croix. A ses frais, elle fit construire l'Hôpital
Sainte-Marie de la ville de Québec. Elle donnait sans
cesse de l'argent pour les œuvres de charité de Vincent de Paul.
Pour lui elle créa un hôpital à Marseille pour soigner les galériens.
Elle créa l'institution des dames de la Charité destinées à soigner
les malades et à secourir les pauvres. Elle-même était dame de
la Charité de la paroisse de Saint-Sulpice dont faisait partie
son domicile du petit Luxembourg.
En 1642, elle aida financièrement Vincent de Paul à créer un séminaire
au collège des Bons-Enfants. La même année, elle créa la société
de Notre-Dame-de-Montréal avec une trentaine de donatrices dans
le but d'établir dans l'île de Montréal, soixante lieues au-dessus
de Québec, une nouvelle colonie sous le nom de Ville-Marie avec
une mission catholique destinée à évangéliser les " sauvages ".
Le 4 juillet, bien qu'elle ne fût jamais allée dans son
duché, elle donna 13500 livres à la mission d'Aiguillon pour l'entretien
de trois prêtres supplémentaires qui devaient agir dans l'Agenois
et le Condomois.
En 1648, elle acheta de ses deniers les consulats d'Alger et de
Tunis, chargés de protéger quatre prêtres qui y secourraient et
enseigneraient les chrétiens détenus en esclavage ; pour cela,
elle donna quarante mille livres à la maison des missions
En 1653, Paris comptait quarante mille pauvres qui vagabondaient
et habitaient la nuit dans onze "cours des miracles". Anne d'Autriche
lui donna la maison de la Salpétrière pour qu'elle y fît aménager
un hôpital pour loger les mendiants. Cela lui coûta 50 000 livres,
Mazarin apporta 150 000 livres et d'autres généreux donateurs
y contribuèrent. L'Hôpital Général ouvrit au printemps 1657.
Le 30 septembre 1658, le pape Alexandre VII lui écrivit de Sainte-Marie-Majeure
pour la remercier de sa générosité à l'égard des missionnaires
apostoliques et lui donner sa bénédiction. En 1660, elle équipa
à ses dépens un vaisseau pour transporter en Chine trois évêques
et des missionnaires mais l'expédition fit naufrage, alors elle
finança un second voyage par terre qui aboutit à la fondation
d'un séminaire à Siam.
Mme de Combalet protectrice des gens de lettres.
En 1637, elle imposa à Richelieu le Cid de Corneille pour l'inauguration
de la salle de spectacle du Palais-Cardinal [l'actuel Palais Royal]
; en remerciement, Corneille lui dédia le Cid et voici un extrait
de la lettre qui accompagnait cet hommage : " …madame, on ne
peut douter avec raison de ce que vaut une chose qui a le bonheur
de vous plaire ; le jugement que vous en faites est la marque
assurée de son prix... " Lire la dédicace complète
ICI.
Elle profita d'avoir en main le ministère des libéralités et des
aumônes que lui avait confié son oncle pour aider beau coup d'hommes
de lettres : Voiture, Colletet, de Gombaud, de Scudéry, Molière…Elle
intervint auprès de son oncle pour qu'il octroie une pension à
une vieille fille de lettres dans la misère, Marie de Gournay,
qui, à 19 ans avait lu les Essais et avait souhaité rencontrer
Montaigne qui passait à Paris ; depuis, il l'appelait " sa fille
d'alliance " et disait " l'aimer plus que paternellement " ; plus
tard, la veuve de Montaigne la chargea de s'occuper de l'édition
posthume des Essais.
Voiture qui était un de ses plus anciens amis lui adressa une
supplique commençant par :
" Plaise à la duchesse très
bonne,
Aux yeux très clairs, aux bruns cheveux,
Reine des flots de la Garonne,
Dame du Loth, et de tous ceux
Qui virent sa personne,
De laisser entrer franchement
Sans peine et sans empêchement
Un homme, au lieu de sa demeure,
Qui, s'il ne la voit promptement,
Enragera dans une heure."
À l'occasion du baptême du Dauphin, en
1639, Richelieu fit jouer par des enfants dans sa résidence du
Palais-Cardial L'Amour tyrannique que Scudéry avait dédié
à Mme d'Aiguillon. Le rôle principal était tenu brillamment par
une enfant de treize ans choisie à dessein par Mme d'Aiguillon,
Jacqueline Pascal, la sœur de Blaise Pascal. Mme d'Aiguillon qui
portait un grand intérêt à la famille Pascal en profita pour mettre
en relation Jacqueline et le cardinal et celui-ci, séduit par
des vers qu'elle lui récita, décida de rappeler son père Etienne
Pascal de son exil en Auvergne et le nomma intendant de Normandie.
En 1642, le poète Scarron s'adressa à Madame d'Aiguillon pour
qu'elle intervînt en sa faveur auprès de Richelieu et elle obtint
pour lui un bénéfice ecclésiastique. Il lui adressa les vers qui
suivent :
" Sage duchesse d'aguillon,
De mes vers la noble matière ;
En une si vaste carrière,
Je n'ai point un autre aiguillon
Qu'une affection très entière,
Dont vous voyez l'échantillon. "
Elle tint également, au palais du
Petit-Luxembourg, un salon aussi célèbre que celui de Mme de Sablé
ou Mme de Rambouillet. Corneille fut naturellement parmi les premiers
à fréquenter son salon, mais de nombreuses personnalités s'y rencontrèrent,
en particulier le grand Blaise Pascal, au cours de sa période
mondaine dont les Provinciales se feront l'écho. Il y présenta
sa fameuse machine à calculer.
Peu avant la mort de Richelieu, elle obtint de lui, par amitié
pour Mme d'Aubigné, qu'il fît libérer son mari, Constant d'Aubigné,
emprisonné car soupçonné de l'assassinat de sa première épouse
; il était le fils du poète Agrippa d'Aubigné et le père de Françoise,
future Mme de Maintenon.
Elle soutint aussi les peintres en les comblant du juste tribut
de son admiration : Claude Gelée dit le Lorrain, peintre du soleil
et de la mer ; Nicolas Poussin, peintre de l'esprit et de la raison
; E. Lesueur, celui de l'amour et de la foi. Après la mort de
Richelieu, elle continua à leur verser les pensions que le cardinal
leur avait attribuées.
La mort de Richelieu.
Le cardinal étant tombé gravement malade dans la nuit du 28 novembre
1642, sa nièce l'assista durant toute sa maladie en s'installant
au Palais-Cardinal et en organisant des prières pour son salut.
Le roi vint le voir plusieurs fois et au cours d'une des visites,
Richelieu lui recommanda de prendre Mazarin comme ministre.
Il succomba le 4 décembre après avoir demandé à sa nièce de s'éloigner.
Il lui dit en lui baisant la main : "Vous êtes la
personne que j'ai le plus aimée".
Un quatrain courut dans Paris :
" Si la pauvre duchesse
pleure
Hélas ! Pourquoi s'étonner tous ?
Ne perd-elle pas à même heure
Et le père, et l'oncle, et l'époux. "
(En rapport
avec ce quatrain, lisez
en bas de cette page un article paru dan Le Petit
Bleu des Côtes d'Armor le 22 novembre 2021)
Le 13 décembre, il fut descendu dans
son tombeau au centre du chœur de la chapelle de la Sorbonne qu'il
avait fait bâtir en 1635.
Dans son testament, il lègue à sa nièce le Petit-Luxembourg, le
domaine de Pontoise et la maison et la terre de Ruel qui iront
après la mort de Mme d'Aiguillon au fils aîné de son frère François
qui portera alors le nom et les armes de Richelieu. Suivant le
désir de son oncle, elle prit sous sa tutelle les cinq enfants
de son frère, incapable de s'occuper de leur éducation, tutelle
officialisée par acte notarié sur les conseils de Mazarin.
À la cour d'Anne d'Autriche.
Le cardinal avait légué à l'aîné de ses petits-neveux, Armand-Jean
de Vignerod, le titre de duc de Richelieu et la charge de gouverneur
du Havre qu'il voulait garder dans sa famille, mais jusqu'à sa
majorité [25 ans] cette charge incomba à Mme d'Aiguillon. Cela
suscita à la cour la jalousie de la duchesse de Chevreuse qui
exigeait auprès d'Anne d'Autriche, la Régente, cette charge pour
le duc de La Rochefoucauld. Mazarin soutint Mme d'Aiguillon qui
conserva cette charge.
La famille de Condé lui intenta une série de procès pour essayer
de récupérer une partie de l'héritage de Richelieu. Pourtant quand
le Grand
Condé avait épousé Claire Clémence de Maillé, cousine
germaine de Mme d'Aiguillon [voir l'arbre généalogique ci-dessus],
Richelieu l'avait comblé de biens et d'argent à condition de renoncer
à l'héritage Richelieu ; procès perdu.

Claire Clémence de Maillé
|

Condé
|
Anne d'Autriche et sa cour passèrent l'été 1644
et ses grandes chaleurs chez Mme d'Aiguillon dans le domaine de
Ruel, montrant ainsi des marques de sa protection contre Condé.
En 1646, elle reçut le privilège du Roi pour faire imprimer en
édition de luxe les œuvres de son oncle : l'Instruction du
chrétien, le Livre des controverses pour convertir
les protestants et une Invocation à la Vierge.
La même année, son frère mourut d'épuisement et sa veuve s'empressa
dix mois après de se remarier au comte d'Aurouër et de partir
en Bretagne sans se soucier de ses enfants que madame d'Aiguillon
dut recueillir ainsi que Mme du Vigean, son amie de vingt années
complètement ruinée, dans son palais du Petit-Luxembourg, et elle
la garda près d'elle jusqu'à sa mort. Les rumeurs sur les supposées
relations entre les deux femmes enflèrent. Tallemant des Réaux
dit : " Mme du Vigean se jeta à corps perdu dans les bras de
Mme d'Aiguillon et elle eût été une tigresse si elle l'eût rejetée.
Depuis, elle a été son intendante, sa secrétaire, sa garde-malade,
et a tout quitté pour se donner entièrement à elle. "
Mme d'Aiguillon mêlée à La fronde.
L'année 1648 commença par l'opposition des parlements à l'augmentation
des impôts, nécessaire pour combler les dettes de l'état. Vers
la fin juillet, les troubles s'accentuèrent et la Régente mit
les bijoux de la couronne en gage, emprunta à la princesse de
Condé cent mille livres et Mme d'Aiguillon proposa de donner tout
ce qu'on lui demanderait. Néanmoins, la guerre civile commença
le 26 août par la " Journée des Barricades ".
Le 12 septembre, la Régente, le Dauphin et Mazarin filèrent se
réfugier à Ruel chez Mme d'Aiguillon jusqu'au 24 où ils partirent
pour Saint-Germain, plus sûr en cas d'attaque.
Le 18 octobre une trêve fut signée, les réfugiés revinrent à Paris
pour la Toussaint.
Le 6 janvier 1649, les troubles persistant, nouveau départ pour
Saint-Germain, Paris en état de siège. Du 2 au 12 mars des pourparlers
s'engagèrent entre la régente et le parlement en terrain neutre…
à Ruel. La cour ne revint à Paris que le 18 août.
Le 25 décembre 1649, le Dauphin fit sa première communion à Saint-Eustache
et le même jour, le jeune duc de Richelieu, Armand-Jean de Vignerod
épousa clandestinement une veuve de 27 ans, Anne de Fors, fille
aînée de Madame du Vigean, la grande amie de Mme d'Aiguillon.

Armand-jean de Vignerod
|

Anne de Fors
|
Condé était dans les coulisses de ce mariage ;
le duc de Richelieu devant être à sa majorité le gouverneur du
Havre, Condé espérait l'influencer dans le sens de ses intérêts.
La duchesse d'Aiguillon fut catastrophée, se rendant compte que
son neveu avait été manipulé par une intrigante et envisagea de
faire casser ce mariage mais les événements de la Fronde l'en
empêchèrent. Anne de Fors mourut sans enfants en 1684 et ensuite,
Armand-Jean eut deux autres épouses dont il eut Louis-François-Armand
de Vignerot du Plessis en 1696, futur duc de Richelieu, pair,
et maréchal de France.
La régente et Mazarin voyant clair dans le jeu de Condé décidèrent
de l'arrêter, ainsi que ses complices Conti et Longueville. Cela
fut fait le 18 janvier 1650 et ils furent enfermés dans la citadelle
du Havre. Ce fut le début de la Fronde des Princes. Un an après,
le 13 février 1651, les Princes furent libérés, Mazarin proscrit
à Cologne, le parlement triomphait. Louis XIV avait atteint la
majorité, il mena la lutte contre les nobles dissidents avec Turenne
à la tête de son armée.
Durant toute cette période, Mme d'Aiguillon, dégoûtée de ces désordres,
se consacra entièrement à soulager la misère du peuple, elle fit
soigner Vincent de Paul malade, lui offrit un carrosse et un attelage
pour le soulager dans ses déplacements qu'il faisait jusque-là
à pied. Nouvelle déconvenue pour Mme d'Aiguillon, le 6 novembre
1652, elle apprit le mariage de Jean-Baptiste
Amador de Vignerod, son autre neveu, marquis de Richelieu
avec Mlle de Beauvais, fille d'une femme de chambre de la Reine,
alors qu'elle espérait une épouse d'un plus haut rang. Après l'avoir
éloigné de son épouse en l'envoyant en Italie, elle essaya de
faire annuler le mariage, mais ce ne fut pas possible légalement.
Vexée, elle abandonna la tutelle et remit à ses neveux toute leur
fortune. Peu à peu, elle s'éloigna de la cour pour se consacrer
à ses œuvres de charité. De plus elle remarqua qu'Anne d'Autriche
devenait froide et réservée à son égard ; peut-être avait-elle
été imprudente d'avoir fait allusionaux assiduités de Mazarin
auprès de la Reine, en sa présence ?
Gouverneur du Havre et gros ennuis familiaux.
En mai 1658, fait exceptionnel pour une femme, elle obtint de
Louis XIV le commandement du Havre pour y faire renforcer les
fortifications, accumuler les vivres et les munitions pour la
garnison, en cas d'attaque. Sa prévoyance fut très utile à Louis
XIV et à Turenne qui assiégeaient Dunkerque tenue par les espagnols.
Louis XIV lui écrivit de Calais pour lui demander d'urgence quatre
ou cinq mille boulets de calibre 24, ce qu'elle fit aussitôt,
contribuant ainsi à la victoire de Turenne qui prit la ville le
14 juin 1658.
Le 26 août 1660, elle assista à l'Hôtel d'Aumont dans le faubourg
Saint-Antoine, en compagnie de Mazarin et des dames de la cour,
à l'accueil de Louis XIV et de l'infante d'Espagne, de retour
de Saint-Jean-de-Luz où ils s'étaient mariés le 9 juin.
Peu après, elle alla soigner Vincent de Paul, tombé gravement
malade mais malgré ses bons soins, il mourut le 27 septembre 1660
et elle assista à ses funérailles le lendemain. A la même époque
mourut Scarron, aussitôt Mme d'Aiguillon rencontra sa veuve et
intervint auprès de Mazarin pour que la pension faite à son mari
fût augmentée et attribuée à la petite fille d'Agrippa d'Aubigné.
Ses neveux lui causèrent de nouvelles craintes : le plus jeune,
l'abbé Emmanuel-Joseph de Vignerod comte de Richelieu tomba gravement
malade de la poitrine, tandis que l'aîné, Armand-Jean duc de Richelieu
lui intentait un nouveau procès au sujet de la succession du cardinal,
que sa tante gagna. Elle eut par la suite la faiblesse d'accepter
ses excuses, si bien que le second neveu, Jean-Baptiste Amador
marquis de Richelieu, profitant de la bonté de sa tante vint lui
avouer être criblé de dettes, ne sachant comment faire vivre sa
femme et ses trois enfants et la duchesse se dévoua de nouveau.
L'aîné était très riche, sans enfants et avait la charge de général
des galères que sa tante lui demanda de céder à son frère pour
que ses enfants puissent continuer d'honorer le nom de Richelieu.
Devant son refus, la duchesse fit intervenir l'autorité de Mazarin
qui obtint que l'aîné payât les dettes de son frère et lui assurât
une rente de 20 000 livres. Malheureusement, Jean-Baptiste Amador
mourut le 11 avril 1662, suivi par sa veuve le 30 avril 1663,
laissant deux fils et trois filles à la charge de Mme d'Aiguillon.
Mazarin mourut le 9 mars 1661, mais quelques jours avant, il avait
marié sa nièce Hortense Mancini avec le duc de la Meilleraye,
cousin de Mme d'Aiguillon qui le remercia d'avoir uni leurs deux
familles.
Les dernières années.
À soixante et un ans, elle commençait à ressentir les fatigues
de la vieillesse mais jamais elle ne donna autant de son temps
à secourir les pauvres, les malades et les prisonniers malgré
une santé fragile. Elle se retirait souvent chez les Carmélites
et son palais du Petit-Luxembourg restait ouvert pour les œuvres
de bienfaisance ; toujours vêtue modestement et n'utilisant pas
de carrosse, on lui fit une réputation d'avarice mais elle ne
l'était pas pour secourir les déshérités. Un jour qu'elle servait
une femme au refuge des Filles repenties elle dit à quelqu'un
qui s'en étonnait : " Mais n'est-ce pas merveille de voir une
grande pécheresse en servir d'autres ? À quels péchés
faisait-elle allusion ?
L'année 1665 lui vit perdre son neveu l'abbé Emanuel-Joseph le
9 janvier et sa nièce Marie-Marthe, restée célibataire, le 1er
septembre. Mme d'Aiguillon reporta son affection sur son autre
nièce Marie-Thérèse de Wignerod de Pontcourlay de Richelieu dite
Mlle d'Agenois et elle en fit dans son testament du 17 mai 1674,
sa légataire universelle, gardienne de la fortune des Richelieu
et chargée de l'éducation des enfants de Jean-Baptiste Amador.
Elle sera, après la mort de sa tante, la seconde duchesse d'Aiguillon
et pair de France, titres qu'elle laissera à Louis-Armand de Wignerod,
le fils aîné de Jean-Baptiste Amador. Elle avait pris et quitté
plusieurs fois le voile des novices sans jamais se décider et
n'avait jamais voulu se marier.
Marie-Madeleine était malheureuse de voir mourir tant de membres
de sa famille ainsi que plusieurs amies et elle ne sortait de
chez elle que pour aller les soutenir pendant leur agonie. Anne
d'Autriche mourut le 20 janvier 1666. Madame du Vigean lui resta
fidèle et fut sa garde-malade.

Madame du Vigean
Le testament de Mme d'Aiguillon
prévoyait soixante-cinq legs à des amies, des prêtres, des couvents,
des églises, des hôpitaux pour un total de 161 700 livres.
"A la marquise du Vigean, 6000 livres de rentes viagères
et 6000 livres de meubles pour récompenser l'affection
sincère qu'elle m'a toujours témoignée et
dont je dois lui rendre des hommages publics." (extrait
de son testament)
Onze mois après, le 17 avril 1675, elle décéda et fut enterrée
sans pompe ni tenture à sa demande, le 19 aux Carmélites, après
une messe à Saint-Sulpice avec une assistance nombreuse. Elle
ne voulut comme épitaphe que :
Domine, miserere super ista
peccatrice
( Seigneur, aie pitié de cette pécheresse )