Armand-Désiré de Vignerot, dernier Duc d'Aiguillon (1761-1800)
(Page mise à jour le 3 octobre 2022)


Lithographie de Delpech

"Établir le plus promptement possible cette égalité des droits qui doit exister entre tous les hommes et qui peut seule assurer leur liberté."

(Déclaration du duc Armand-Désiré d'Aiguillon à l'Assemblée nationale le 4 août 1789)

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Biographie d'après Armand-Désiré Vignerod du Plessis Richelieu dernier duc d'Aiguillon de Georges Renauld

Un enfant très désiré.
Le 31 octobre 1761, la duchesse Louise-Félicité mit au monde un garçon, dans l'hôtel particulier de sa belle-mère, la duchesse Anne-Charlotte d'Aiguillon, rue de l'Université à Paris. C'était onze ans après la naissance de sa sœur Innocente-Aglaé, toutes les autres grossesses ayant été malheureuses. Quelques jours plus tard, le père, le duc Emmanuel-Armand, revenu de Bretagne choisit le prénom : Armand comme tous les descendants de Richelieu et Désiré puisqu'il était attendu depuis si longtemps.Louis XV transmit ses félicitations pour la naissance de cet enfant.

Une enfance et une adolescence agitées.
Jusqu'à l'âge de quatre ans, son père étant en Bretagne et sa mère à la cour, il fut confié à sa grand-mère, à Paris où elle recevait les hommes célèbres du siècle des lumières dans une agitation permanente.
Ensuite, pendant deux ans, ses parents s'étant retirés au château de Veretz avec son magnifique parc, il subit le tourbillon des
festivités organisées par sa mère pour la noblesse du voisinage.
A sept ans, retour à Paris chez sa grand-mère avec sa petite
sœur Agathe-Rosalie ; un bon précepteur fit son éducation, sa grand-mère lui communiquant son admiration pour Montesquieu.
Il avait onze ans quand sa grand-mère décéda ; il alla vivre chez sa mère à Versailles et entra dans la compagnie des chevau-légers.
Deux ans plus tard, ses parents furent exilés à Aiguillon, il se retrouva seul à Versailles et à dix sept ans rejoignit le château d'Aiguillon. Depuis la mort de sa
sœur aînée en 1776, le calme règnait au château. Il occupa son temps à lire Montesquieu, Voltaire, écrivit, composa de la musique. Il fit un voyage à Paris en 1780 pour être présenté à la cour.

Le franc-maçon.
Au cours d'un autre voyage à Paris, en 1784, il fut admis dans la franc-maçonnerie dans la loge de La Candeur, comme beaucoup de jeunes nobles de cette époque ayant de hautes fonctions militaires. Cette loge était dite "de maçonnerie d'adoption" ce qui signifiait que les dames y étaient admises.


Médaille de la loge de LA CANDEUR


Cachet de la loge de LA CANDEUR
La date de 5763 du calendrier maçonnique figurant sur la médaille correspond à l'année 1763, date de fondation de cette loge.

Armand-Désiré épousa, le 23 janvier 1785, la fille d'un ami de son père, Jeanne-Victoire de Navailles, une des plus belles femmes de Paris qui partageait ses idées libérales. Ils s'installèrent à l'hôtel d'Agenais tandis que ses parents se retiraient à Rueil dans leur château hérité de leur ancêtre Richelieu. Après le décès de son père en 1788, il hérita des titres de duc, de pair de France et de l'immense fortune, qui lui permit d'acheter la charge de commandant du régiment de cavalerie de Royal-Pologne. Le 21 octobre 1788, la jeune duchesse mit au monde leur fils Louis-Armand.

Le député à la Constituante.
Le 26 mars 1789, il fut élu député de la noblesse de la sénéchaussée d'Agen, après avoir quelques jours avant, renoncé par acte notarié, à tous ses privilèges et exemptions pécunières, affirmant ainsi publiquement ses convictions libérales.
Il participa le 4 mai à la cérémonie d'ouverture des Etats généraux dans les rangs de la noblesse. Dès le 6 mai il accepta la proposition des députés du Tiers de sièger en commun avec eux et le clergé. En attendant les autorisations de leurs mandants de province, les choses traînèrent jusqu'à ce que le 25 juin, quarante-quatre députés de la noblesse dont beaucoup étaient francs-maçons décidèrent de rejoindre les députés du Tiers qui s'étaient érigés en Assemblée Nationale. On y trouvait entre autres d'Aiguillon, de Lameth, Paul-Marie de Lavie député de Bordeaux...
Le 7 juillet l'Assemblée lui confia la présidence de la commission des finances.
Après le 14 juillet, les mutineries paysannes partout dans le pays attaquaient, brûlaient les châteaux. Les nobles libéraux et les membres du Club des Bretons se réunirent dans la nuit du 3 au 4 août pour trouver une solution.
D'Aiguillon fit la proposition suivante :

"L'Assemblée déclarera que les Français seront désormais égaux en droit à la naissance ;
tous les privilèges et droits seigneuriaux seront abolis moyennant une juste indemnité aux propriétaires, le droit de propriété étant inviolable ;
les impôts seront supportés dorénavant par tous les citoyens, en proportion de leurs facultés."
(1)

(1) Henri Guillemin, dans La première résurrection de la République, fait remarquer que paradoxalement, c'est un député du Tiers-Etat qui protesta vigoureusement contre cette déclaration, demandant une répression sans merci des manants. Il s'agit de Pierre Samuel du Pont de Nemours, député du Baillage de Nemours.

La nuit du 4 août, cette proposition fut transmise à l'Assemblée et acueillie avec enthousiasme ; d'Aiguillon obtint la parole et fit une longue déclaration à la tribune. Cliquez ICI pour la lire et consulter les comptes rendus de cette nuit historique par Rabaut Saint-Etienne, Michelet, Thiers, Eric Hazan, Pierre Gaxotte, Henri Guillemin et Pierre Kropotkine.


Haut-relief de Léopold Morice commémorant l'événement
sur le socle de la statue de la République, Place de la République à Paris

Le 25 aout, l'Assemblée vota la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen avec cent quarante voix de majorité, dont celle de d'Aiguillon.
D'Aiguillon et ses amis du Club des Bretons s'opposèrent à la création d'un sénat héréditaire jugé trop réactionnaire, mais furent impuissants à empêcher Mirabeau de faire voter la possibilité pour Louis XVI d'exercer un droit de veto contre les décrets d'application des lois votées par l'Assemblée.
Après les journées des 5 et 6 octobre qui avaient été suivies du retour du roi à Paris aux Tuileries, d'Aiguillon fut chargé de trouver une salle pour l'Assemblée Nationale en attendant l'aménagement de la salle du manège des Tuileries. Le 10 octobre il obtint de l'archevêché l'accueil de l'Assemblée. Le Club des Bretons s'installa au couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré et devint le Club des Jacobins. D'Aiguillon y assura la présidence du comité de la correspondance, chargé de diffuser les informations sur les événements auprès des sociétés filiales du club dans les provinces.
Le comité des finances présidé par d'Aiguillon créa une "Caisse de l'extraordinaire" où seraient versés les produits de la vente des biens de l'Église qui avaient étés nationalisés.
Le 4 janvier 1790, d'Aiguillon fut élu Secrétaire de l'Assemblée nationale, mais la droite et la noblesse conservatrice l'accusèrent de traîtrise et répandirent des calomnies sur son soi-disant comportement les 5 et 6 octobre : Auguste Rousseau, maître d'armes à Versailles l'accusa de s'être déguisé en poissarde pour participer à la marche des femmes sur Versailles, et d'avoir insulté la monarchie ; voici sa défense dans
2 lettres écrites aux auteurs du Journal de Paris, le 21 janvier 1790.
Le 17 avril, d'Aiguillon invita l'Assemblée à créer les assignats, monnaie de papier garantie par les biens de l'église devenus biens nationaux.
Le 14 mai 1790, d'Aiguillon s'opposa violemment à Mirabeau qui voulait entraîner la France, sur décision du roi seul, dans une guerre aux côtés de l'Espagne contre l'Angleterre. Après son intervention et soutenu par ses amis, l'Assemblée accorda au roi le droit de proposer la guerre, mais elle seule pouvait en décider.
Aux Jacobins, il participa à l'élaboration de la Constitution civile du clergé, mal accueillie par la majorité des évêques qui refusérent de prêter serment à la Constitution ; les conservateurs, en durcissant leur opposition, firent apparaître en réaction, des mouvements anticléricaux juque-là restés dans l'ombre.
Lors du débat sur le statut des habitants des colonies, d'Aiguillon resta sur la réserve. Etait-ce parce qu'il possédait de grandes exploitations sucrières à Saint-Domingue ?
Le 17 juin 1790, il vota avec la majorité la suppression des titres de noblesse et devint le citoyen Armand-Désiré Daiguillon, et c'est comme cela que nous le nommerons dans la suite.
Le 28 juillet, Daiguillon demanda le vote d'un décrêt interdisant aux troupes autrichiennes de traverser le nord de la France pour aller mater les belges soulevés à cause de la "contamination" par la Révolution française.
23 novembre : abolition des impôts de l'ancien régime et création d'une contribution foncière payable par tous les propriétaires de biens immobiliers [c'est l'actuelle taxe foncière].
13 décembre : création de la contribution mobilière proportionnelle à la valeur locative des habitations [c'est l'actuelle taxe d'habitation]
Début 1791, la vente des biens du clergé améliora provisoirement l'état des finances du pays.

Un tournant dans sa carrière.
Aux Jacobins, Robespierre et ses amis trouvaient le comité de la correspondance présidé par Daiguillon trop modéré et voulaient en fait dominer le Club
.
Au retour du Roi et de la Reine, après la fuite à Varennes, la foule menaçante huait Marie-Antoinette ; Daiguillon et Noailles qui se trouvaient là s'élançèrent et protégèrent la reine en la conduisant dans les Tuileries.
Début juillet 1791, aux Jacobins et aux Cordeliers, on exigeait la déchéance du roi et la proclamation de la République. Daiguillon et ses amis modérés, fidèles à l'idée d'une monarchie constitutionnelle quittèrent les Jacobins pour adhérer au Club des Feuillants, club de droite où n'entraient que les citoyens actifs [ils payent un impôt direct de la valeur de trois journées de travail] en payant une cotisation de quatre-vingt livres.
Le 3 septembre, le texte définitif de la Constitution fut présenté au Roi qui hésita onze jours avant de l'accepter. La Constituante ayant fait son travail, une Assemblée législative devait la remplacer ; Robespierre, pour se débarrasser des nobles et des bourgeois fit voter un décrêt rendant inéligibles tous les membres de l'ancienne assemblée. Daiguillon se retrouvant simple citoyen, il reprit du service en décembre, à l'armée, dans les chasseurs à cheval, en Alsace. C'est certainement là qu'il rencontra à Stasbourg Rouget de Lisle, auteur, compositeur de La Marseillaise.
Le 20 avril 1792, le Roi avait obtenu de l'Assemblée législative la déclaration de guerre à l'Autriche dans l'espoir secret que notre armée désorganisée par l'émigration d'un grand nombre d'officiers nobles ne résisterait pas aux troupes de François II d'Auriche et que celui-ci le rétablirait monarque absolu.
Le 7 mai, Daiguillon fut nommé Maréchal de camp affecté à la défense des gorges de Porrentruy à la frontière Suisse.

L'exil.
À la suite des événements du 20 juin et du 10 août 1792 qui virent les Tuileries envahies par le peuple, le vote de la suspension de la royauté et l'emprisonnement de la famille royale dans la tour du Temple sur ordre de la commune de Paris, Daiguillon, dans une lettre à Barnave traita cette commune "d'Assemblée usurpatrice". Cette lettre fut interceptée le 16 août par le comité de Surveillance de Lons-le-Saulnier et le comité de Sûreté générale le décréta d'accusation et ordonna son arrestation. Daiguillon réussit à passer en Suisse puis en Allemagne et à s'embarquer pour l'Angleterre où il retrouva d'autres émigrés "Constitutionnels" comme lui mais fut méprisé par les émigrés royalistes de la première vague de 1789. Il apprit que tous ses biens avaient étés mis sous séquestre et les troubles qui règnaient dans les Îles, outre-mer, l'empéchèrent de percevoir les revenus de ses domaines de Saint-Domingue.
Il apprit également que son épouse, pour protéger ses biens propres avait obtenu le divorce, comme quantité d'autres femmes d'émigrés, et qu'elle était en sécurité avec son fils à Pau dans sa ville natale. Dans le groupe des émigrés "Conventionnels" se trouvait Talleyrand. Daiguillon et Lameth furent expulsés sur ordre du Premier ministre conservateur Willian Pitt, pour avoir fréquenté son adversaire, le francophile Charles Fox, chef du parti des Whigs.
Les deux expulsés s'embarquèrent pour Hambourg, ville libre, où sans ressources, ils s'associèrent dans une société commerciale qui travaillait dans la confection.
Le 16 septembre 1796, Daiguillon apprit la mort de sa mère. Talleyrand passant par Hambourg en rentrant d'Amérique dit qu'il trouva Daiguillon "bien handicapé". Madame Daiguillon se démenait pour obtenir la radiation de son mari de la liste des émigrés, sans succès.
En 1797, après un séjour clandestin en France, le coup d'état de Barras les força à se fixer à Bâle mais les Suisses se montrant méfiants et tâtillons, ils revinrent à Hambourg.
Après le coup d'état du 18 brumaire [9 novembre 1799], Talleyrand, ministre des relations extérieures obtint de Bonaparte la radiation de son ami Daiguillon de la liste des émigrés. Mais sa mauvaise santé fit qu'il mourut subitement le 17 mai 1800 à l'âge de quarante ans alors qu'il s'apprétait à rentrer en France.

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