Un récit de la libération d'Aiguillon
élaboré à partir d'articles du Cri Aiguillonnais et de témoignages recueillis auprès de vieux aiguillonnais de souche, aujourd'hui disparus

20 août 1944, journée historique de la Libération d’Aiguillon

Dès le 10 août, les groupes F.F.I. (Forces Françaises de l’Intérieur) avaient reçu de l’État-Major départemental de la Résistance l’ordre de se porter à une distance moyenne de 10 à 12 kilomètres de la ligne Bordeaux-Toulouse, la seule encore occupée et tenue par les Allemands, pour y couper au maximum toutes les voies de communication et isoler les garnisons entre elles. Le 12, la Compagnie Villeneuve-Nord-Ouest des groupes Veny, conformément à ces ordres, transporta son P. C. et ses troupes (200 hommes environ) à Peyreguilhot, entre Saint-Gayrand et Laparade. « De ce point, précisait le Capitaine Labrunie, la Compagnie pouvait effectuer des opérations dans le secteur qui lui était imparti, entre Tonneins et Aiguillon, de manière à désorganiser les Allemands et à les harceler sans arrêt, conformément au plan prévu. »

Depuis quelques mois, l’insécurité régnait dans la région. Depuis le mois de juin, 500 SS de la terrible division allemande (celle qui exterminera les habitants d’Oradour) s’était installée au château ducal. Leur mission : faire régner la terreur afin de protéger les voies de communication. En juillet, elle remonta vers le nord, poursuivant son œuvre de mort : villages incendiés, tueries répétées… Elle fut remplacée au château par des troupes germano-turkestanes, des pillards qui commirent d’innombrables larcins et viols dans le département.

Sur une simple dénonciation, les Allemands arrêtaient un brave paysan dans sa vigne, emprisonnaient une ménagère innocente et nul ne se sentait à l’abri. Le 17 juin 1944, la Milice de Vichy pilla le garage de Louis Dupouy ; le même jour, deux Aiguillonnais avaient été arrêtés : Victor Rasmus, parce qu’on avait découvert un dépôt d’armes dans le jardin de son voisin, tout près de sa maison, et Marcel Durrieu, un résistant communiste. Dans la nuit du 18 au 19 juin, Vitor Rasmus fut fusillé sur le dépôt d’armes et Marcel Durrieu, malgré l’intervention du Maire de la ville, fut atrocement torturé et il fut fusillé le 22 juin vers 21 h 30 entre Aiguillon et Nicole, au pied du talus de la voie ferrée.

Stèle située sur le bord de la Route Nationale entre Aiguillon et Nicole
Plaque fixée sur la façade du Bureau de Poste d'Aiguillon

Le 22 juin, à Buzet, c’est le facteur d’Aiguillon Pierre Ruchaud qui fut arrêté comme « chef communiste » et fusillé à 500 mètres du village, dans une vigne, avec cinq autres personnes parmi lesquelles Armand Sainte-Lagüe dont le seul crime était d’être son gendre.

Depuis le mois de juin surtout, les nazis et la milice avaient fait régner la terreur. Par le nombre de fusillés, de déportés et de pillages divers, notre région avait été très durement éprouvée par cette guerre. En 1949, on dénombra 236 fusillés ou pendus et 673 déportés. Pour lutter contre l’occupant et pour échapper au S.T.O. qui envoyait d’office des Français dans les usines allemandes, la Résistance s’était organisée dans le Lot-et-Garonne. Grâce au Parti communiste qui avait ses propres imprimeries clandestines, elle put imprimer des tracts et des affiches appelant à la rébellion. Diverses actions furent entreprises pour contrecarrer les occupants : attaques de patrouilles ennemies (à Damazan, Ambrus…), sabotage de la cimenterie de Nicole.

Ainsi, quelques jours avant le 20 août, les Allemands avaient voulu recenser tous les véhicules aiguillonnais en état de marche mais les Maquisards les avaient devancés : pressentant que ces véhicules seraient réquisitionnés par l’armée allemande au moment de son départ d’Aiguillon, les Maquisards se présentèrent chez les propriétaires de véhicules, expliquèrent leur projet de camoufler quelque temps leurs moyens de locomotion pour les soustraire à l’ennemi et promirent de les restituer à la libération que l’on sentait très proche. Tous les propriétaires acceptèrent, sauf un qui exigea de conduire lui-même son automobile. Douze voitures et deux camions se rassemblèrent à Clairac et furent conduits entre Montpezat et Laugnac où le maquis les attendait.

Le 20 août fut un dimanche ensoleillé. Dans la nuit, les récoltes avaient été endommagées par un violent orage. Dès le matin, les soldats allemands qui étaient cantonnés depuis plus de deux mois dans le château ducal afin de surveiller la voie ferrée et la Nationale 113, quittaient notre ville, non pas en voiture puisqu’il n’y en avait plus à Aiguillon, mais à pieds ou avec des vélos lorsqu’ils avaient pu en voler; ils s’enfuyaient en désordre en direction de Bordeaux. Démoralisés par les premières victoires des Alliés après le débarquement en Normandie le 6 juin et par les nombreuses attaques de résistants, certains cassèrent leur crosse de fusil contre les troncs de platanes de la route de Nicole, espérant sans doute être faits prisonniers. D’autres, la nuit précédente, avaient de leur plein gré rendu leurs armes à un groupe de la Jeunesse Communiste sur la route de Clairac, au parc Cusson. À Ayet, un jeune patriote tira sur les fuyards avec un fusil mitrailleur. Beaucoup de miliciens aussi s’enfuirent.

A Aiguillon la joie était immense Aussi, dans Aiguillon libéré, on hissa aux fenêtres les drapeaux français. Pourtant, l’émotion fut grande quand on entendit quelqu’un crier « Attention ! Ils reviennent ! » et les drapeaux furent vite retirés avant de reparaître quand on s’aperçut que la nouvelle était fausse.

Une heure après le départ des Allemands, arriva le maquis d’Ambrus avec à sa tête « le Toubib ». Sur le Pont de Pierre s’installèrent les marins maquisards de la base de Clairac avec leur uniforme bleu et leur pompon rouge au béret. Après plusieurs années d’humiliation, les Français reprenaient possession de leur territoire.

À la gare, des wagons d’un train de marchandises à destination de l’Allemagne brûlaient. Le groupe de la Jeunesse Communiste détachait les wagons en flammes afin de préserver les autres wagons chargés d’un butin hétéroclite mais précieux après ces dures années de pénurie. Ce fut une ruée des Aiguillonnais vers cette manne où ils récupérèrent qui une paire de chaussures, qui du fil de fer, qui un vélo, le plus chanceux même une moto ! C’est que, depuis 1940, on manquait de tout : tout était rationné, y compris les denrées de première nécessité et un seul camion était autorisé deux jours par semaine au transport du ravitaillement de la ville. Alors, imaginez le plaisir de récupérer ces objets pillés par l’ennemi !

Partout la joie fut immense et pendant huit jours la Place du 14 Juillet (Place du Maréchal Pétain pendant l’Occupation) fut occupée par une population en liesse. On s’embrassait, on plaisantait, on était libre, enfin !

L’ancien maire de Vichy, Roger Bazin, qui avait, dans un discours, souhaité la victoire de l’Allemagne, fut emprisonné plusieurs mois ainsi que son adjoint Marc de Ranse.

Le 23 août, fut constitué le Comité de Libération composé de Républicains communistes, socialistes, radicaux et chrétiens.

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Panneau situé dans le jardin public d'Aiguillon

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