Article publié sur LADEPECHE.fr le 01/11/1998 par
Benoît-SALSES
Cette voie, prétendument romaine, traverse notre département
et a donné son nom à une appellation d'armagnac. Mais qui créa la
Ténarèze ? Les Romains, les Gaulois, les Celtes, les hommes préhistoriques
? Tentons de répondre à ce petit mystère.
Ténarèze : l'origine du mot, déjà, pose problème. On sait que "ten"
veut dire tête, ou sommet. Comme la Ténarèze est une route de crêtes,
son nom vient peut-être de là. Rien n'est moins sûr. Ce n'est pas
un nom romain. Mais cela pourrait être un nom médiéval. A notre connaissance,
donc, l'origine du mot reste un petit mystère. Il y en aura d'autres.
René Descazeaux (1) nous dit que cette voie
connue de nous comme un chemin romain de grande communication de Barbaste
au Gers se retrouve également en Espagne, en Aragon, dans la province
de Tena, on peut donc légitimement se demander si le "ten" de Ténarèze
ne vient pas de Tena ? Mais Tena vient lui aussi, peut-être, de "ten"...
Ecoutons plutôt René Descazeaux : " Cela pourrait être, aujourd'hui,
le nom d'une autoroute du soleil. Ce fut, à côté des voies antiques
transpyrénéennes de l'ouest et de l'est, un axe nouveau aux âges des
métaux, perçant la montagne barrière en son centre aux points de rupture
les plus délicats : la Ténarèze. Cette pénétrante surprenante vient
de la vallée de la Tena, en Aragon, elle traverse le haut plateau
d'Aragnouet qui domine la vallée de Cinqua, surgit de Gistain par
le col de Bielsa vers le plan de Rioumajou. Elle chemine ensuite vers
le plateau nécropole d'Avezac-Prat, recherche les hauteurs boisées
bordant les vallées du Salat, de la Garonne, de l'Aure et la rive
gauche de la Neste. La Ténarèze est un grand chemin de crêtes sud-nord.
Voie commerciale de la pierre obsidienne du Massif Central, du silex
du grand Pressigny, des eurites d'Aspe et d'Ossau, de la jadéite de
Gironde, la Ténarèze fut d'abord un axe voulu par les hommes de l'Age
de pierre avant d'être réactivé aux âges des métaux. "
Andalousie-Médoc.
René Descazeaux ajoute que "notre" Ténarèze reliait l'Aragon et peut-être
l'Andalousie, au sud de l'Espagne, avec la vallée du Lot et le Médoc,
au nord, en traversant la Garonne entre Port-Sainte-Marie et Aiguillon,
au gué de Thouars, protégé par le castrum romain
de Saint-Côme. Ce qui voudrait dire que les Romains n'ont fait
qu'adapter - améliorer sans nul doute - une antique voie tracée à
travers la montagne par les premiers hommes.
La Ténarèze passe à proximité d'un grand nombre de dolmens, menhirs,
cromlechs dont
nous parlions la semaine dernière à cette même place.
On est donc loin de cette prétendue voie romaine qui, selon ce que
l'on nous enseignait jadis, à l'école, partait de Lannepax (Gers)
pour rejoindre Barbaste par les coteaux et ensuite Sainte-Côme. Cette
thèse de voie romaine fut longtemps accréditée dans la mesure où Lannepax
vient du latin et veut dire "la paix de la lande". Cette paix, signée
entre le général romain Crassus et les Sotiates.
Ajoutons que la Ténarèze traverse toute la Gascogne et ne touche aucune
des anciennes cités d'Aquitaine où les Romains n'auraient pas manqué
de la faire passer si cette voie avait été construite par eux. On
conçoit mal, en effet, que les hommes de Jules César, par ailleurs
si organisés, si pragmatiques, aient dessiné une route qui ne traverse
(ou pour le moins aurait pu longer) aucune des agglomérations où ils
avaient installé leur administration. C'est notamment le cas pour
Eauze.
A l'inverse, elle traverse Miélan, Meylan, etc., autant de villes
ou plus exactement de lieux des hommes de l'Age de pierre.
Ce que l'on sait des Gaulois est dû pour l'essentiel aux écrits de
Jules César qui vint nous coloniser. Doit-on prendre pour argent comptant
les propos d'un homme qui naturellement écrit sa propre gloire ? Croirait-on
Hitler s'il avait relaté le conflit polonais ? A croire Jules César,
les Gaulois, nos ancêtres, étaient un peuple attardé. C'est sans doute
pour cette raison qu'il a eu tant de mal à conquérir Sos et à mettre
au pas ses habitants, les Sotiates?
Circulation avant J.-C.
Avant Jules César, il est bien évident que l'on circulait dans la
Gaule antique et que l'on y circulait même depuis très longtemps.
Pour que des hommes se fixent dans la vallée de la Baïse et dans celle
de la Gélise, il fallait bien qu'ils viennent de quelque part. Il
fallait bien qu'ils utilisent un chemin dont le tracé reste dans les
mémoires. Un chemin que l'on réutilise toujours puisqu'il passe à
travers un monde connu. Ces simples pistes du début deviendront des
chemins de communication entre peuplades qui s'élargirent au moment
où l'homme abandonna sa vie de chasseur-cueilleur pour devenir cultivateur.
En passant ce cap, l'homme a franchi aussi celui de la domestication.
Pour labourer, il a dressé des chevaux et des vaches. Pour transporter
sa production, il a utilisé ce bétail. Et pour ce faire, il a emprunté
ces chemins déjà connus.
Quand les Carthaginois et les Romains entrèrent dans notre pays, ils
n'éprouvèrent aucune difficulté à transporter leurs troupes, leurs
cantines, leurs convois. C'est bien qu'il existait des passages, des
voies déjà tracées.
Par contre, que plus tard ils les aient pavés, adaptés à leur modernité
propre ne fait aucun doute.
Aires préhistoriques
Bien des éléments semblent démontrer l'antiquité de la Ténarèze. Dans
la seule zone qui va de Sainte-Maure-de-Peyriac à Barbaste, de chaque
côté de ce chemin, on en trouve beaucoup, comme le soulignait déjà
Ch. Bastard dans un article paru dans "La Revue de l'Agenais" en 1923.
Il écrit : "Depuis le plateau de Sainte-Maure jusqu'à Réaup, nous
trouvons en bordure de la Ténarèze des ateliers préhistoriques à Sainte-Maure,
de véritables villages néolithiques sous grottes à Saint-Pré-SaintSimon,
des vestiges de village gaulois à Sos, des traces d'exploitation minière
entre Sos et Meylan, un centre religieux et funéraire avec le cromlech
de Meylan, un camp retranché, un bois sacré, des clos à Réaup".
Il est vrai que du côté de Sainte-Maure furent découvertes en assez
grand nombre des pièces préhistoriques telles que des haches polies
de fort belle facture. Ces haches, en silex brun que l'on ne trouve
pas dans le coin, viennent évidemment des Pyrénées. Du moins la pierre
qui servit à les fabriquer. Ce qui veut dire que pour transporter
cette pierre, il fallait bien emprunter un chemin : la Ténarèze.
On trouva également dans le même secteur deux racloirs en obsidienne.
Or, l'obsidienne vient du Massif central. Un archéologue de Condom
(Gers), M. Mazaret, montra à Ch. Bastard une impressionnante collection
de haches, racloirs, polissoirs, amulettes, qu'il a recueillis dans
des ateliers préhistoriques en bordure de la Ténarèze. Bastard lui-même
possédait une hache en bronze trouvée le long de l'antique voie.
Il est vrai aussi que le long de cette "route romaine", on trouve
beaucoup de grottes et que l'abbé Breuil, le spécialiste du néolithique,
parle des "grottes préhistoriques de la Ténarèze".
Il convient enfin de dire que Meylan fut un centre minier bien avant
que les Romains ne viennent conquérir Sos. Et s'ils mirent tant d'acharnement
à subjuguer les Sotiates, c'est bien parce qu'ils possédaient du minerai
de fer. On l'exploita et on le vendit. Il fallait bien le transporter.
La Ténarèze servit notamment à cela
Le chemin de CroMagnon
Ainsi donc, il est probable - pour ne pas dire avéré car le débat
reste ouvert - que la voie que l'on attribue aux Romains et qui fut
largement utilisée à l'époque médiévale soit un antique chemin de
peuplement que les cousins de CroMagnon empruntèrent il y a plus de
vingt mille ans ? Par contre, le magnifique
pont - probablement le plus vieux du département si ce
n'est du grand Sud-Ouest - qui enjambe l'Osse (affluent de la Gélise,
elle-même affluent de la Baïse) entre Andiran et Nérac, non loin de
l'intersection des départementales 406 et 656, n'est pas, comme l'assure
une légende tenace, le seul pont de la Ténarèze. La particularité
de la Ténarèze, c'est que justement elle n'a pas de pont. Surtout,
ce pont qui est, hélas ! abandonné et qui risque de se ruiner au fil
du temps est bâti à plusieurs kilomètres de la voie antique.
Est-il romain comme les gens du voisinage l'appellent ? C'est un autre
mystère. Un beau mystère qui mérite d'être visité et défendu.
(1) René Descazeaux : "Itinéraires mystérieux et magiques
des espaces pyrénéens" (éditions Loubatières).
Carte de la Ténarèze
empruntée à l'excellent site : http://cirquedebarrosa.free.fr/tenarese.htm