Madame du Barry et le duc d'Aiguillon
(d'après Madame du Barry par le duc de Castries, Hachette, 1967)
(Page mise à jour le 19 novembre 2022)

Le maréchal duc de Richelieu (1696 - 1788),
huile sur toile, École française du XVIIIe siècle
Musée des Beaux-Arts d'Agen
La comtesse du Barry en Flore (1743-1793)
huile sur toile
par François Hubert DROUAIS
Musée des Beaux-Arts d'Agen
Emmanuel-Armand de Vignerot (1720-1788)
duc d'Aiguillon
Portrait par d'Estrée et Callet
   

De Jeanne Bécu à comtesse du Barry

Une fille vit le jour le 19 août 1743 à Vaucouleurs et fut déclarée Jeanne Bécu. Sa mère, Anne Bécu s'était trouvée enceinte d'un moine, frère Ange de Vaubernier, du couvent des Picpus de Vaucouleurs où elle travaillait comme couturière. Dans LA DU BARRY, Edmond et Jules de Goncourt reproduisent l'acte de naissance de Jeanne Bécu la déclarant fille naturelle : « Jeanne, fille naturelle d'Anne Béqus dite Quantiny, est née le dix-neuvième août de l'an mil sept cent quarante-trois, et a été baptisée le même jour; elle a eu pour parain Joseph Demange et pour marraine Jeanne Birabin, qui ont signé avec moi. Jeanne BIRABINE. L. GALON, Vicaire de Vaucouleurs. Joseph DEMANGE ».
Après la naissance d'un autre enfant, un garçon, Anne Bécu se réfugia à Paris chez une sœur ; elle épousa un domestique, Nicolas Rançon. Le ménage entra au service d'un financier, Billard-Dumouceaux, qui fit éduquer Jeanne chez les Adoratrices du Sacré-Cœur au couvent de Sainte-Aure où elle resta neuf ans ; elle s'y montra douée pour les arts et plus tard elle fut une amie des écrivains, en particulier de Voltaire.
A quinze ans, à sa sortie du couvent son éblouissante beauté faisait sensation et elle suscitait la convoitise des hommes et même des dames partout où elle fut engagée, comme apprentie chez le coiffeur Lametz, demoiselle de compagnie d'une riche veuve Mme Delay de la Garde, demoiselle de magasin chez le sieur Labille "marchand de modes" ... On l'appelait alors Mlle Lange, surnom en rapport avec son géniteur, frère Ange et elle était aussi connue sous le nom de Vaubernier ou Beauvarnier pour la même raison.
Entre 1760 et 1763 on lui prête un nombre considérable d'amants.
En 1763 elle va rencontrer une connaissance de son beau-père Rançon, Jean-Baptiste du Barry dit "le Roué", appartenant à une famille noble de la région de Toulouse et deviendra sa maîtresse. En 1766 elle adopte le nom de son amant peu jaloux et devient la comtesse du Barry. Voici ses armoiries :


Cet intrigant, marié et père d'un garçon avait quitté sa famille pour Paris où il exercait le métier d'entremetteur qui le mettait en rapport avec de hauts personnages de la noblesse et parmi eux le maréchal de Richelieu.

Comment se fit le rapprochement entre la du Barry et le duc d'Aiguillon

Le maréchal de Richelieu descendait en ligne directe, au même titre que le duc d'Aiguillon Emmanuel-Armand de Vignerod, de François de Vignerod, neveu du cardinal de Richelieu. [voir l'arbre généalogique en tête de la page consacrée à Madame de Combalet]
Le maréchal, débauché notoire eut une courte passade avec Jeanne Beauvarnier pour la somme de cinquante louis et c'est lui qui la rapprocha de son petit cousin Emmanuel-Armand de Vignerod et de son épouse Louise-Félicité de Bréhan-Plélo. Voilà comment ces deux personnages "connurent" la du Barry bien avant Louis XV.
Madame du Barry soutint toujours le duc d'Aiguillon tout le long de sa carrière et lui resta fidèle après sa disgrâce lorsqu'il fut exilé par Louis XVI et Marie-Antoinette après la mort de Louis XV ; elle viendra lui rendre visite plusieurs fois sur son lieu d'exil au château d'Aiguillon : deux fois dès l'été et l'automne 1775 et au mois d'août 1782.

Comment la du Barry aida d'Aiguillon dans sa carrière politique

Dans le conflit qui opposait d'Aiguillon aux Parlements, elle fit pression sur Louis XV pour qu'il tranche en faveur du duc. Celui-ci, pour la remercier lui offrit un vis-à-vis [voiture de plaisance] magnifique entièrement doré, avec sur les panneaux les armoiries de la comtesse et sa devise "Boute en avant!", d'une valeur de cinquante-deux mille livres, de quoi nourrir une province pendant plusieurs mois. Elle ne s'en servit pas, le roi l'ayant trouvé trop somptueux. Les chansonniers se déchaînèrent :

"Pourquoi ce brillant vis-à-vis?
Est-ce le char d'une déesse
Ou de quelque jeune princesse?
S'écriait un badaud surpris.
-- Non (de la foule curieuse
Lui répond un caustique), non,
C'est le char de la blanchisseuse
de cet infâme d'Aiguillon."

Le 24 décembre 1770, elle fut certainement à l'origine du renvoi et de l'exil de Choiseul car celui-ci avait voulu dans un premier temps imposer sa sœur, la duchesse de Gramont comme favorite puis ensuite intrigué avec l'Autriche et Marie-Antoinette pour que Louis XV devenu veuf épouse une sœur de la dauphine et ainsi se débarrasse de sa favorite. Six mois plus tard, elle insista auprès du roi pour qu'il nomme d'Aiguillon secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Un libelle courut dans les salons :

Par elle on devient ministre.
C'est, sur son ordre sinistre,
Que d'Aiguillon tient registre
Des élus et des proscrits.
Le public indigné crie ;
Mais du roi l'âme avilie,
Sûre de son infamie,
Est insensible au mépris.

Comment la du Barry fut soutenue par d'Aiguillon et son épouse après la mort de Louis XV

Le mercredi 4 mai 1774, le roi atteint de la petite vérole et mourant demanda à sa maîtresse de quitter Versailles avant qu'il se confesse et reçoive les derniers sacrements pour éviter la réprobation des religieux ; il lui dit qu'Aiguillon était prévenu et s'occuperait de son départ. A quatre heures de l'après-midi, c'est son amie la duchesse d'Aiguillon qui la conduisit dans sa voiture jusqu'à leur maison de campagne de Ruel. Le 10 mai, le roi était mort. Pendant environ un an, l'ancienne favorite fut enfermée à l'abbaye de Pont-aux-Dames selon un ordre signé de Louis XV la veille de sa mort, au motif qu'elle avait le secret de l'Etat.
Autorisée à quitter l'abbaye à condition de ne pas s'approcher à moins de dix lieues de Paris où Versailles, le 9 avril 1775 elle acheta le château de Saint-Vrain pour la somme de deux cent mille livres prêtées par d'Aiguillon.
Le contrôleur général de finances, Calonne, redevable de sa carrière à d'Aiguillon et pour lui être agréable, accepta d'échanger la pension annuelle de 50 000 livres que Louis XV avait attribuée à la du Barry, en un capital de 1 250 000 livres ; elle put ainsi rembourser sa dette à d'Aiguillon.

Comment la du Barry aida la duchesse d'Aiguillon à émigrer

Le 10 janvier 1791, Madame du Barry, absente pour une soirée de son château de Louveciennes, avait été victime du cambriolage de ses bijoux, d'une valeur de plusieurs millions de livres. Ils furent retrouvés à Londres lorsque les voleurs tentèrent de les vendre à un joailler, et mis sous séquestre par la justice anglaise dans l'attente d'un procès. Pour tenter de les récupérer elle entreprit plusieurs voyages en Angleterre. Lors du quatrième voyage, le 14 octobre 1792, munie d'un passeport, elle se rend légalement à Londres et pour permettre à la duchesse d'Aiguillon d'émigrer, elle la fait passer pour sa camériste. Cet épisode fera partie des multiples chefs d'accusation lors de son procès qui la mena à la guillotine le 8 décembre 1793.

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Ce texte ne fait que survoler cette période complexe de l'histoire de France et on ne saurait trop recommander la lecture de l'ouvrage(1) du duc de Castries pour mieux l'explorer en profondeur.

(1) Madame du Barry par le duc de Castries chez Hachette, 1967

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